* Photo prise par Best du Great Chiang Mai Hostel *
En arrivant à Chiang Mai, j'ai tout de suite su que j'allais tomber amoureuse. Je suis arrivée de nuit, après dix heures de train, et j'ai attrapé un songthew, ces petits bus rouges qui arpentent la ville, pour rejoindre mon hôtel. Je ne pouvais pas bien voir les rues, mais j'ai senti cette odeur familière de fleur de jasmin, et j'ai su que j'allais me sentir bien ici.
J'ai
très vite pris mes marques entre le Great Chiang Mai Hostel, ma
maison ; le Blue Diamond Breakfast Club où j'ai squatté la terrasse
pendant des heures, en travaillant et en buvant mon café ; le petit
restaurant local juste en face du Blue Diamond, où je savais que
j'allais retrouver Brayden tous les matins en train de siroter son
fruit shake ; le Bamboo
Bee, un autre succulent restaurant végétarien, spécialiste de la
fausse viande ; et ce minuscule bar où de jeunes thaïs s'entassent
autour d'une table pour gratter leur guitare en essayant plus ou
moins de couvrir les morceaux de Scorpions dont le patron est fan.
Pendant dix jours,
les journées se sont déroulées dans une agréable lenteur, presque
une routine. Après le petit-déjeuner, nous partions souvent en
scooter visiter un temple, plus ou moins loin du centre-ville, ou
bien simplement pour errer dans les rues étroites de la vieille
ville où s'enchaînent les auberges, les petites boutiques, les
studios de yoga et les restaurants « healthy ». Nous nous
sommes parfois aventurés plus loin, le temps d'un roof-top dans un
quartier plus excentré, ou pour aller voir un film dans un grand
centre commercial. Mais toujours, nous finissions par tous nous
retrouver en fin d'après-midi autour de la petite table en bois
devant le Great Chiang Mai Hostel, une Chang à la main, parfois un
jeu de carte dans l'autre, avant d'aller dîner et d'hésiter entre
prolonger la soirée au jazz club, au Yellow Corner, ou simplement
autour de cette petite table ronde en bois. Tous : Sarah, Finn,
Leo, Kristi, Yvonne, Isabel, Joe, Sanne.
J'avais rencontré
Sarah, Finn et Leo à l'auberge, le premier jour, et ce sont eux qui
m'avaient proposé d'aller découvrir ce petit bar local, juste à
côté de là où nous vivions. Sarah et Finn voyagent en couple
pendant plusieurs mois. Ils arrivent du Sri Lanka, iront ensuite au
Laos, au Vietnam, et au Cambodge pour les fêtes de fin d'année.
Finn est grand,
très très grand. Chaque fois qu'il rencontre un thaï, il se
présente comme « Chang », l'éléphant, en pointant du
doigt son t-shirt « Chang » avec le logo de la marque de
bière du même nom. Passionné de photo, il s'arrête très souvent
dans la rue et demande poliment à chaque personne s'il peut les
photographier. Sarah, elle, l'attend calmement en souriant.
Leo, lui, voyage
seul depuis déjà plusieurs mois. Il a abandonné son « wolf
pack » pour venir ici, à Chiang Mai, pour la fête des
lumières, tandis que les autres sont descendus dans les îles du sud
pour les fameuses « full moon parties ». Leo parle
constamment, sort mille blagues à la seconde, et ne quitte jamais
son chapeau. Il nous explique qu'il en a plusieurs, avec des
utilisations différentes. A Londres, il est enseignant en école
primaire, mais il est aussi circassien, et il me montrera plus tard
des photos de ses numéros de rue.
C'est étrange
comme les relations entre les voyageurs solo vont vite, beaucoup plus
vite que ce que nous pouvons vivre dans nos pays respectifs. Au bout
de quelques heures à peine, les confidences s'allongent sur la
table. Leo émet l'hypothèse que nous tous, nous sommes là pour
échapper à quelques chose. Fuir. Après quelques secondes de
silence, chacun y va de son histoire. Souvent, ce sont des ruptures.
Abruptes. Qui laissent un peu tout le monde sur le carreau, des plans
sur le long terme qui soudainement tombent à l'eau et qui vous
laissent sans perspective. Comme un gouffre sans fond. Parfois, il
s'agit d'échapper à une situation dans laquelle on s'est embourbé.
Toujours, cette fuite est liée à une blessure, une cassure dans le
plan initial qui nous laisse tous un peu errants.
Et c'est donc avec
eux, ces petits amputés de quelque chose, que j'ai célébré Loy
Khratong, la fête des lanternes. Un moment important pour moi. J'ai
commencé à véritablement envisagé ce voyage après avoir vu des
photos de la fête des lanternes à Chiang Mai. Des centaines de
lampions qui remplissent le ciel de leur petite flamme. Dans la
tradition thaï, Loy Khratong, c'est l'occasion de laisser s'envoler,
dans le ciel ou sur des petits bateaux confectionnés avec des fleurs
et abandonnés sur la rivière, les mauvaises pensées, les choses
négatives, de les voir dériver et de passer à autre chose.
Le personnel du
Great Chiang Mai Hostel avait organisé pour nous un rassemblement
pour que nous allions tous ensemble allumer nos lanternes et les
laisser partir. Et puis, nous sommes allés à la rivière, laisser
dériver nos khratongs.
Sur le bord de
l'eau, je me suis accoudée sur le ponton en bambou. Des centaines de
lanternes volaient au-dessus de ma tête. Et là. Le cœur qui bat
plus vite. C'est là que je suis tombée amoureuse. En une seconde.
Amoureuse de je ne sais quoi, mais amoureuse.
La soirée et les
jours se sont prolongés, avec eux tous, toujours les mêmes. Et
puis, il a fallu se séparer. Quand ils sont partis, j'étais
malheureuse comme une pierre. C'est aussi ça, les rencontres de
voyage. On se rencontre aussi vite qu'on se quitte. Je me suis dit :
si je m'attache autant à chaque personne rencontrée pendant les
prochains mois, on n'est pas sortie du foin.
Alors, pour me
rassurer, je voudrais me rappeler cette petite anecdote : un
soir, alors que je marchais dans les rues de Chiang Mai avec Sarah,
Finn et Leo, nous sommes rentrés dans un petit restaurant local pour
utiliser leurs toilettes. Il n'y avait que des thaïs, et parmi eux,
deux occidentaux. Le visage de l'un d'eux me paraissait familier, et
je lui ai demandé :
« Est-ce que
la nourriture est bonne ici ? »
« Oui. Mais
tu sais, nous nous sommes déjà rencontrés. »
« C'est bien
ce qu'il me semblait. Où ça ? »
« A Lund. »
Et puis, c'est
revenu. Août 2011. J'allais à Lund pour la première fois pour
candidater auprès de Trans Europe Halles. Je dormais dans un wagon
de train abandonné, transformé en auberge de jeunesse. Nous
n'étions que trois personnes. Je suis partie avec R. boire
quelques bières et regarder un concert sur Stortorget. En rentrant à
l'auberge, il a essayé de m'embrasser, mais je l'ai repoussé. Le
lendemain, il a repris son voyage en vélo, jusqu'à Göteborg, et
j'ai eu mon poste à Trans Europe Halles. C'est lui que j'ai
rencontré dans ce petit restaurant de Chiang Mai. Il n'a pas arrêté
de pédaler depuis, et nous nous retrouvons ici.
Alors c'est ce que
je me dis. Nous nous reverrons, for sure. Nous nous reverrons.
Et ce sera bien. Forcément bien.
* Photo prise par Best du Great Chiang Mai Hostel *
B.O. du moment : Aztec Camera - Down the dip
"I put all the love and beauty in the spirit of the night
And I'm holding my ticket tight
Stupidity and suffering are on my ticket too
And I'm going down the dip with you"