* Ce dinosaure est heureux d'être à Greenwich *
La semaine dernière, avec Nyamuk, nous avons décidé de
partir à Londres, un peu à l’improviste. Mais comme on est des oufs, on a
choisi de partir en bus comme des gros routards. Beaucoup m’ont demandé comment
fait un bus pour traverser la Manche. Je vais donc dévoiler ce mystère
absolument insoutenable : le bus roule jusqu’à Calais et prend la
direction de l’Eurotunnel. Là, le bus se glisse dans un train, qui rentre dans
le tunnel, qui lui-même est sous l’eau. C’est incroyable, mais vrai (une
référence culturelle se cache ici).
Londres, j’y suis allée pas loin de dix fois, dans mes
souvenirs. Je n’ai jamais rien compris à cette ville, et je me perds à chaque
fois que j’y retourne. C’est toujours la même histoire : je sais
pertinemment que je suis déjà passée dans tel ou tel quartier, mais je ne
reconnais rien, et surtout, je suis incapable de me faire une image
géographique de l’endroit. Je crois que mon cerveau rejette Londres.
Enfin bref, nous avons passé deux jours à gambader dans les
rues, à prendre des photos, à rouler dans les parcs et à admirer les oiseaux.
Car si Londres n’est pas vraiment ma ville préférée, je dois avouer qu’ils sont
sacrément chanceux niveau volatiles. En marchant simplement dans Hyde Park
et St James Park, nous avons pu observer quantité d’espèces dont nous
n’avions aucune idée du nom. Nyamuk voyait des canards chinois partout, et il n’avait pas tout à fait tort, car en
faisant une recherche Google Image sur le canard chinois, on voit – en dehors
des canards laqués – à peu près tous les oiseaux qu’on trouve dans les parcs
londoniens. Mais il n’y avait pas que des canards chinois. Nyamuk a pu
s’émerveiller pendant des heures devant ses amies les poules d’eau pendant que
je m’attendrissais devant le pigeon en rut courtisant la pigeonne qui n’en a
pas grand-chose à faire. La danse nuptiale du pigeon est peut-être une des
manifestations naturelles qui me fascinent le plus dans la vie. La manière dont
ils gonflent le cou et font trainer leur queue, en tournant autour de la
femelle tout en faisant des tours sur eux-mêmes. Fascinant. Et ce petit regard
désappointé lorsque, le temps d’un tour, la
pigeonne s’est envolée sans que le pigeon s’en aperçoive. Ca n’a pas de
prix. Bref, pour tout ça, Londres aussi m’a gâtée, puisque nous avons eu l’incroyable
chance d’assister à la cérémonie de rut la plus longue jamais observée. Et
malgré une bonne cinquantaine de tours autour de la pigeonne, le pigeon n’a pas
pécho. La pigeonne est difficile. Il faut dire que la pauvre se fait tourner
autour tous les jours, toute l’année, alors que quand même, les animaux sont
censés avoir des saisons de reproduction, non ? N’ayant aucun répit, je
peux comprendre qu’elle finisse par se lasser. De là à faire un parallèle entre
la pigeonne et la Parisienne qu’on reproche d’être toujours froide face aux
sollicitations perpétuelles de la faune dans les bars, il n’y a qu’un pas. Que
je fais, en effet.
On pourrait donc penser que ce qui m’aura le plus marqué
pendant ce séjour à Londres, c’était les pigeons – et dans ce cas, c’était bien
la peine d’aller jusque là bas alors qu’on en a des caisses à Paris, n’est-ce
pas ?
Hé bien non.
Ce qui m’a le plus marquée dans ce voyage à Londres, ça a
été le retour. Parce que, comme je disais plus haut, étant des gros routards,
on avait pris le bus. Et au retour, à la surprise générale, le bus n’est pas
rentré dans le train qui rentrait dans le tunnel qui passe sous l’eau, non, le
bus a pris le FERRY. Immédiatement, je me suis sentie revenir des années en
arrière, les années collège et les voyages en Angleterre. J’étais alors
amoureuse d’un magnifique brun aux yeux bleus qui sortait avec celle qui me
semblait être la plus laide de l’école. Je m’étais imaginée des histoires
follement tragiques et romantiques sur l’île de Wight où nous allions passer
une semaine. Evidemment, rien de tout ça n’est arrivé, mais j’avais maintenant
beaucoup mieux puisque j’embarquais sur un ferry avec Nyamuk. Une espèce de
revanche sur le temps qui m’a donné envie de faire un mariage chinois dans le
fond du bus, mais là encore, Nyamuk a dit non. Peut-être parce qu’il était
encore vexé du coup des canards chinois, puisque je ne l’avais pas cru.
La traversée s’est faite sur un petit ferry sur lequel nous
avons partagé un fish & chips, puis essayé de trouver un canapé
confortable. Quand le Graal a été trouvé, la traversée était finie, ce qui
laissait un petit goût d’inachevé. Retour donc au bus dans la soute, et
descente à Calais où nous étions deux jours plus tôt.
Dans la dernière partie du voyage, de Calais jusqu’à Paris,
je me suis pas mal demandée pourquoi j’avais été aussi enthousiasmée par des
pigeons en rut que je ne regarde plus quand je suis chez moi, et une traversée
en bateau qui n’avait rien d’exceptionnel. Je me suis aussi demandé pourquoi
mes amis qui partent vivre à l’étranger gardent un souvenir très négatif de la
France, alors que les étrangers que je rencontre à Paris sont au comble de
l’extase d’être dans la capitale du fromage.
C’est la THEORIE DE L’EMERVEILLEMENT.
Le fait qu’il suffisse parfois d’un tout petit renouveau
pour que tout soit plus excitant.
C’est étonnant comme il suffit de peu de choses pour que les
éléments les plus anodins deviennent tout d’un coup absolument magiques, pour
peu qu’on les décale un peu ou qu’on porte un autre regard sur eux. Il suffit
de mettre les pigeons à Londres, ou de ne pas prévenir qu’on rentrera en ferry
et pas en Eurotunnel. Il suffit parfois d’un petit déplacement pour que tout
reprenne de ses couleurs.
Ca fait longtemps, maintenant, que je veux partir vivre
quelques temps à l’étranger. Parce qu’après vingt cinq ans à Paris, je me dis
qu’il faut raviver un peu ma vision de la vie, lui redonner un peu de lustre.
Et s’il faut partir dans un autre pays pour que les pigeons en rut me fasse à
nouveau rire, alors je prends.