mercredi 15 juin 2016

15-16.01.2016 : Les 3 000 temples de Bagan - souvenir ému d'une meute au coucher du soleil.



Voyager au Myanmar n'est pas de tout repos. Si j'avais quand même pu bénéficier d'un certain confort dans les pays précédents, même avec un budget vraiment mini, cette fois la situation était différente : le tourisme s'y développe doucement, au même titre que les services, les transports, les hébergements, encore un peu rachitiques – en tout cas pour les backpackers. Ce qui signifie que les trajets sont longs, sans confort et que le peu de concurrence en terme de logements entraîne des prix à la nuit très, très hauts comparés aux autres pays d'Asie du Sud Est. Pour donner un exemple, c'est au Myanmar que j'ai payé mon dortoir le plus cher (14 $), tandis que les chambres d'hôtel tournent autour de 20 $. Pas terrible pour le voyageur solo. Mais comme je disais, dans mon article précédent, le voyageur solo est un mythe, et nous avons vite trouvé des arrangements.

Une autre chose que j'ai découverte au Myanmar, c'est que par un curieux hasard d'emploi du temps, les bus pour aller d'un endroit à un autre arrivent systématiquement au milieu de la nuit. Et pas un truc pratique genre, à 6h du matin, ce qui permet de prendre un petit déj', d'aller chercher une chambre dans les hôtels qui commencent à ouvrir et d'économiser une nuit. Non. Genre, à 3h du matin. Quand tu n'as pas vraiment eu le temps de dormir dans le bus et que tu grinces des dents à l'idée de payer une chambre pour une nuit aux trois quarts commencée. Bon. C'est un rythme à prendre. Et nous, c'est à Bagan que nous nous sommes faits les dents, dans le « pays des 3000 temples », soit la destination la plus touristique du Myanmar.

Après dix heures de bus, nous sommes donc arrivés au milieu de la nuit, et au milieu de nulle part. Nous n'avons même pas eu le temps de récupérer nos sacs dans la soutes qu'une horde de chauffeurs de taxi nous est tombée dessus pour nous emmener dans le centre ville. Nous, nous étions un peu paumés, bouffis de sommeil, sans réservation, et la seule chose que nous savions vaguement, c'est que la région était divisée en trois endroits : New Bagan, le plus cher, Old Bagan, un peu moins cher, et Nyaung U, le plus modeste. Difficile de se mettre d'accord au sein de notre groupe, qui s'était d'ailleurs agrandi de deux Français, Fanny et Brice, que nous avions récupéré après que la pauvre Jaime ait été aveuglée pendant une partie du trajet par leur liseuse. Après de longues minutes de discussion ponctuées par les HURLEMENTS des chauffeurs de taxi qui nous pressaient comme des malades, nous nous sommes tous engouffrés dans un grand van, qui, après nous avoir emmenés au poste officiel pour régler les 20 $ obligatoires simplement pour rentrer dans la région de Bagan, nous a demandés où nous voulions aller.

« Bin, on ne sait pas. A Nyaung U.
-Oui, mais dans quel hôtel ?
-On ne sait pas, on n'a rien réservé. Un endroit pas cher. »

Là, j'ai cru qu'on perdait le chauffeur qui s'est mis soit à paniquer pour nous, soit à se demander ce qu'il allait bien pouvoir faire de cette bande de branques qui débarquent à 3h du matin dans l'endroit le plus touristique du pays sans réservation. Après avoir décrypté que sa phrase, répétée en boucle, « no cheese during high season », ne signifiait PAS qu'il y avait une pénurie de fromage, mais que tout était « cher » (« cheap ») pendant la saison haute, nous lui avons demandé de nous laisser n'importe où.

Cette technique paraît tout à fait désespérée, c'est vrai, mais elle a fait ses preuves, surtout à Bagan. Ce soir-là, nous avons toqué à la porte d'une auberge et réveillé une petite madame qui ne comprenait pas très bien l'anglais, mais qui n'en avait pas besoin pour comprendre que nous cherchions des lits et pour nous expliquer qu'elle n'en avait plus. Mais après quelques minutes de balbutiements entre elle et nous, elle nous demandé de la suivre : elle nous proposait de nous installer dans une sorte d'entrée, située à l'étage, vide, et qui donnait directement sur un grand balcon. Elle avait plusieurs matelas que nous pouvions partager, et nous proposait de payer « seulement » 10$ pour deux nuits (puisqu'elle ne compterait pas la première, tronquée).


* Pyjama party & frigo plein *


Voir cet endroit après les longues heures de bus et de flottement, installer les matelas au sol comme on préparerait une soirée pyjama avec mon nouveau groupe de copaings, c'était presque le Paradis. Nous avions tout ce qu'il nous fallait. C'était même mieux qu'un dortoir. Nous avions un balcon - et pour sécuriser nos affaires, nous avions un vieux frigo vide dans lequel nous avons enfermé nos objets de valeurs avec mon cadenas. Bref, c'était notre espace à nous et nous en faisions ce que nous en voulions.

Le lendemain, c'est donc en meute que nous sommes partis découvrir l'ancien royaume de Bagan et les quelques 2000 temples restants sur les 10 000 qui existaient à l'origine qui émaillent des plaines arides, poussiéreuses, entre jaunes et rouges. Les étrangers n'ont pas le droit de circuler en scooter – à tel point que lorsque Chris ira à son rencard avec la fille de celui qui se disait « chef du village » (de Nyuaung U, sûrement), elle viendra le récupérer dans une petite ruelle, à l'écart, pour que personne ne la voit le faire monter sur son scooter. Nous avons donc loué des vélos à moitié crevés dans notre hôtel pour aller nous crever nous-mêmes sous la chaleur tapante. Et nous avons déambulé, toute la journée, entre les innombrables structures en pierre, stupa et temples, en nous arrêtant quand nous le voulions, ou selon les recommandations des marchands de rue et des enfants nous demandant de leur donner des pièces de nos pays « pour leur collection », qu'ils essayent ensuite d'échanger de nouveau auprès d'autres touristes contre des kyats birmans, cette fois. On trouve à Old Bagan les bâtiments les plus anciens, parfois des ruines, les moins pris d'assaut par les voyageurs. New Bagan, ce sont les plus grands temples, souvent restaurés, garnis de hauts boudas dorés et de statues aux traits fins. C'est aussi là que nous avons pu admirer le soleil se coucher à l'horizon de ces grandes plaines, avec, à perte de vue, d'autres stupas qui s'étendent loin, très loin. Le matin, c'est aussi là que s'élèvent les montgolfières multicolores accompagnant l'aurore, cette fois.



                 



Je garde un souvenir très ému de cette journée. Pour une raison que je ne saurai expliquer, assise sur les marches d'un temple du Old Bagan, j'ai encore pensé à l'Arménie et ses églises taillées au cœur de la montagne. Peut-être pour l'aridité du paysage et ces pierres transpirant une spiritualité calme, reposante. Dans New Bagan, je me souviens surtout du fourmillement des Birmans, le visage maquillé par une crème jaune obtenue en frottant des petites bûches d'un arbre, le Thanakha, contre une pierre humidifiée. Cette crème, qu'ils appliquent sur les joues, le nez, le front selon des formes parfois très élaborées est à la fois une coquetterie et une manière de protéger leur peau du soleil. Chris avait acheté une de ces bûches, et une femme a dessiné en souriant sur mon visage de jolies feuilles à l'aide d'un tout petit bâton. Voir des étrangers récupérer cette coutume les faisait bien rire, en tout cas. Ces petites feuilles m'ont valu beaucoup de sourire – et une session photo avec un groupe de jeunes Birmans qui voulaient absolument se faire tirer le portrait, un par un, avec moi.

Quand le soleil s'est couché sur ce gigantesque territoire, je me sentais incroyablement calme et apaisée dans cet endroit qui semblait être resté quelques milliers d'années en arrière. Le tourisme s'y développe, c'est vrai. Mais c'est encore aujourd'hui un endroit rare où l'on peut sentir cette poésie millénaire, la force tranquille de ces hautes structures de pierre, qui n'a pas été entamée par une parc d'attractionnisation du lieu. Le « chef » du village, parait-il, croise les doigts pour que tout ça soit préservé, et s'attriste de voir se développer, petit à petit, le harcèlement des marchands de breloques autour des temples.

Je suis curieuse de voir ce que sera Bagan d'ici quelques années. J'espère que les pierres gagneront sur les promoteurs d'usine à tourisme devant lesquels, malgré leur poids, elles se font souvent écraser.









mardi 14 juin 2016

14.01.2016 - 04.02.2016 : "The Wolf Pack" au Myanmar - une meute de voyageurs jamais solo.


* Photo piquée à Amélie sur Exotikpause *

Ma décision de partir au Myanmar s'est faite un peu sur un coup de tête. En préparant mon voyage, j'y avais bien pensé, mais toute pleine d'appréhensions que j'étais sur cette partie du monde que je n'avais jamais exploré, je m'étais dit que si je rencontrais un garde du corps / armoire à glace pour m'y accompagner, peut-être oserai-je aller me frotter à un pays majoritairement coloré en rouge sur le site du Ministère des Affaires Etrangères. Je n'ai pas rencontré de Kevin Costner en sac à dos, mais j'ai rencontré Brayden, dont l'enthousiasme à l'idée de se retrouver au Myanmar, lui après le Vietnam, moi après le Cambodge, m'a quand même fait réfléchir.

Le problème, c'est que j'étais plutôt bien, moi, au Cambodge, avec ma team. Et je n'avais pas spécialement envie de la quitter. Mais eux avaient décidé de partir faire le Vietnam en moto, et il était pour moi hors de question que je tente de manipuler un de ces chevaux de l'Enfer. C'est donc le cœur un peu fripé que je me suis résolue à prendre mon billet d'avion et mon visa en ligne de dernière minute, en espérant peut-être retrouver Brayden quelque part au Myanmar. Même après avoir traversé trois pays, les au revoir étaient toujours aussi nuls, voire de plus en plus douloureux.

J'avais presque oublié ce que ça faisait d'être seule. Et d'ailleurs, je n'ai pas vraiment eu le temps de m'en souvenir, puisque mon statut de loup solitaire n'aura duré que quelque heures, entre l'auberge de jeunesse de Phnom Penh et l'avion qui m'amenait à Yangon. On n'arrête pas de le répéter, mais ça ne coûte rien de le redire : voyager en solo est un mythe, à moins de vraiment le vouloir et d'avoir une volonté de fer. Je n'ai jamais été aussi peu seule qu'en partant quelque part avec mon sac à dos. Dans l'avion, alors que mes larmes de séparation avaient à peine séché, ma voisine a commencé à taper la discute : une Chilienne d'une vingtaine d'années, qui revenait, avec deux autres amies chiliennes, d'un semestre d'étude en Australie. Elles m'ont tout de suite incorporée dans leur groupe, jusqu'à l'auberge que j'avais réservé à Yangon, le Four Rivers (que je recommande d'ailleurs pour ses lits qui sont de véritables nids de douceur).

Je n'avais aucun itinéraire prévu. Toute occupée à profiter des plages cambodgiennes, je n'avais rien lu sur le Myanmar. A part les « précautions d'usage » qui se sont d'ailleurs avérées fausses, en très grande partie. Cette totale ignorance de la géographie du pays me laissait donc en théorie une absolue liberté pour me greffer à n'importe qui. Je pensais que j'allais faire la route avec mes nouvelles copines, Luz, Camilla et Vale, mais l'imprévu, toujours lui, s'en est mêlé : nous avions réservé toutes les quatre, via mon auberge, un bus pour partir à Bagan dès le lendemain de notre arrivée. Mais une fois à la gare routière, après 2h coincées dans les bouchons quotidiens qui asphyxient la ville de Yangon tous les soirs en fin de journée, les filles se sont rendues comptes que leurs billets étaient datés pour le lendemain. Tous les bus qui devaient partir ce soir-là – dont le mien - étaient complets.

Je suis donc redevenue loup solitaire l'espace de trente secondes, le temps de retrouver, dans la gare routière, un groupe d'autres loups solitaires qui étaient tous, eux aussi, au Four Rivers de Yangon. Et voilà comment s'est formée « the wolf pack », la meute de loups, qui s'est déplacée ensemble pendant trois semaines dans une joyeuse ambiance de colonie de vacances, qui a atteint son paroxysme dans une chambre beaucoup trop luxueuse de Pyin Oo Lwin, où il m'a fallu bien du whisky pour accepter d'écouter le dernier album de Justin Bieber, vautrés sur un lit.

C'est intéressant une meute de loups, car elle est constituée de plusieurs individus aux personnalités très différentes, avec une position, au sein de la meute, correspondant à ses particularismes, pour que le groupe puisse avancer le plus efficacement possible. Je n'irai pas jusqu'à dire que nous étions aussi bien organisés, mais en terme de diversité, on y était. Jeunes et vieux loups, sages et fous, en rut ou au calme : nous étions entre sept et dix, selon les jours, et vue la taille du groupe, le fait de ne pas s'être entre-tués relève presque de l'exploit. Mais cela tient sans doute à une seule raison : nous étions tous des prétendus « voyageurs solo ». Nous étions tous plus ou moins là pour les mêmes raisons, et avions à peu près le même pedigree. Je ne pourrai pas parler de tout le monde, mais il y a des personnages à évoquer avant de passer en revue les différents chapitres birmans.

Chris, un Américain de San Francisco, était l'artiste un peu torturé et élément social du groupe qui revenait toujours avec des histoires incroyables sur ses rencontres avec des locaux : un mariage presque arrangé avec la fille du « chef » de Bagan, chez qui il avait été invité à dîner, une après-midi passée dans la brume après avoir bu une boisson non identifiée qu'on lui avait offerte à Nyaungshwe, une invitation dans un monastère dans les hauteurs de Mandalay, etc. Son arme : sa guitare qu'il avait emmenée avec lui et qui est indéniablement un excellent moyen de communiquer quand la langue fait défaut.




Jaime, jeune Canadienne solaire au sourire presque trop grand pour son visage, moitié bibliothécaire, moitié serveuse et véritable aimant humain. Lorsqu'elle me parlait de sa vie dans l'Ontario, j'avais l'impression d'avoir devant moi le stéréotype de la Canadienne badass qui n'a pas peur de sauter du haut d'une falaise de plusieurs mètres, même avec une plaie à la jambe déjà ouverte d'un précédent saut, dont le poil se hérisse à peine à la vue d'un grizzly et qui peut casser le nez de n'importe qui d'un coup de coude bien placé, tout ça avec son minois de jolie blonde à peine plus grande que moi. Je n'ai jamais pensé à lui dire ce que son prénom signifie, prononcé à la française, mais elle fait partie de ces personnes qui ont l'air d'avoir un amour de la vie indéboulonnable, chevillé au corps, un roc inébranlable de joie, sans une once de naïveté. Lors d'une marche dans les ruelles de Bagan, Jaime me parle de ses précédents voyages, toujours en solo, en Europe et en Amérique du Sud, de ses parents qui encouragent leurs enfants à voyager coûte que coûte, de sa relation fusionnelle avec sa mère et du tatouage qu'elles ont fait ensemble, etc. Tout paraît tellement simple, dans sa bouche, que je suis partagée entre admiration inspirée et jalousie désespérée en pensant à mon propre cerveau qui ne fait que boucler et reboucler autour des mêmes situations, jusqu'à m'asphyxier dans l'inaction. Si on m'avait demandé, je l'aurais en tout cas élue loup le plus fort de la meute – et nous serons d'ailleurs les deux seules survivantes de la meute initiale.

Ryan aurait pu concourir à ce titre de prime abord : Américain d'origine thaïlandaise, à vingt ans à peine, il donne l'impression d'avoir eu sept vies. Enfance en Thaïlande, installation aux Etats Unis, volontaire pour une ONG en Afrique, où il raconte avoir vu des hommes et des enfants mourir, puis six mois en Australie avant de se donner un an pour parcourir le monde. Avant de venir au Myanmar, il a fait un long trek en solitaire au Népal, passant parfois plusieurs jours à ne croiser ou ne parler à personne. Alors sur le CV, je l'aurais aussi mis dans la catégorie badass, si au bout de quelques soirées de confidences, je n'avais pas découvert quelqu'un de jeune, encore, mais voyant dans son âge une faiblesse, et rongé par la culpabilité d'avoir une vie facile par rapport à la majorité du reste de la planète. Le complexe de la prison dorée. Ou l'impression de dette perpétuelle envers le monde, dette qu'on n'arrête jamais de rembourser au point de s'oublier soi-même. Ca va, je connais bien.

Nous avions un autre jeune exilé au long cours, Will, encore un Américain, du Minnesota cette fois. Après plusieurs années à enseigner en Asie, il prenait son temps aussi pour rentrer « chez lui ». Il n'avait prévenu personne de son retour pour en faire la surprise. J'espère que sa mère n'est pas cardiaque. Je crois que ma mâchoire est tombée par terre lorsqu'il m'a dit qu'il n'avait pas vu ses parents depuis plusieurs années (trois ans ? cinq ans ? impossible de me souvenir). L'écouter me parler de la facilité avec laquelle il faisait ses choix de vie me laissait là aussi rêveuse. J'en suis venue à penser qu'il fallait eut-être grandir dans le froid et la neige pour avoir ce détachement là. Ca doit être pour ça que les pays du nord me fascinent.

Et puis enfin, Amélie, que je placerai à côté de moi dans la meute, pas seulement parce que nous étions deux Française du même âge environ, mais parce qu'elle a elle aussi plaqué un boulot qui perdait de son sens pour orienter ses rails vers l'Orient, justement, et que bon sang, ça fait quand même du bien de retrouver une compatriote à laquelle se confier un peu plus qu'avec d'autres, mais aussi avec laquelle râler ou débattre en français jusqu'à ce qu'Ali, le Québecois et médiateur du groupe, nous sépare en pensant que nous nous disputons (alors qu'il ne s'agit que du sport national, n'est-ce pas?).

Parce qu'au final, même au sein d'une formidable meute de pièces rapportées aux envies et aux motivations similaires, j'ai aussi appris, pendant ce voyage au Myanmar, que tous les voyageurs solo ne parlent pas la même langue et que la vie sur la route n'est pas toujours une succession d'amours hippies. Il y a aussi des incompréhensions, des disputes, et des jours difficiles.

Mais ce sera pour un autre chapitre.





* Sur le site de Kakku - également piqué à Amélie et son Exotikpause *