mercredi 10 décembre 2014

10.12.2014 : Mon premier souvenir d'Arménie, c'est la centrale nucléaire de Metsamor.



Les premiers souvenirs que j’ai de l’Arménie, ce sont le froid et l’obscurité. Je n’avais pas encore tout à fait deux ans quand eût lieu le tremblement de terre dans la région de Spitak en 1988. Un séisme de 6,9 sur l’échelle de Richter : en huit secondes, une faille d’une amplitude de 1,6 m s’est ouverte sur 20 km. Entre 25 et 30 000 morts, à peine une centaine de personnes sauvées des décombres, 500 000 individus soudainement sans abris. Deux ans plus tard, en 1990, mon père est parti là-bas en tant que médecin, pour évaluer les aides qu’on pouvait apporter, notamment en matière d’équipement de néonatalogie. Son départ était effrayant, on savait qu’il s’embarquait pour un pays obscur dont on avait vaguement entendu parler mais sans vraiment comprendre le lien avec notre vie en France. A son retour, les seuls détails dont je me souviens de son récit, ce sont l’histoire de cette femme, une maitresse d’école qui avait perdu l’usage d’un bras à cause d’une fracture mal soignée après qu’un bâtiment se soit écroulé sur elle pendant le tremblement de terre ; et puis le noir, la pénurie d’électricité. Mon père disait : « Je me suis promené dans Erevan. Il n’y avait aucune lumière. »

L’Arménie ne possède ni pétrole, ni charbon, ni gaz naturel. Au moment du tremblement de terre, la principale ressource énergétique provenait de la centrale nucléaire Metsamor, construite dans les années 70, et située à 100 km de l’épicentre du séisme de 1988. Immédiatement après la catastrophe, le gouvernement décida de fermer cette centrale pour ne pas risquer un accident nucléaire. 

Mais l’Arménie est aussi l’un des pays les plus enclavés du monde, sans aucune ouverture sur la mer, et en conflit avec ses deux principaux voisins, la Turquie et l’Azerbaïdjan. Seuls 164 km de frontières avec la Géorgie et 35 km avec l’Iran sont encore ouverts. Fût un temps, 85 % de l’acheminement des marchandises dans le pays se faisait par voie de chemin de fer avec ses voisins. Mais en 1989, alors que les Républiques soviétiques d’Arménie et d’Azerbaïdjan se disputent déjà le territoire du Haut Karabagh, les Azéries instaurent un blocus ferroviaire et aérien, fermant totalement leur frontière, quelques mois seulement après le séisme qui a détruit le nord du pays. S’en suivent plusieurs hivers, toujours rudes dans cette région, jusqu’au coup fatal : en 1993, après la chute de l’URSS, la Turquie soutient officiellement l’Azerbaïdjan et ferme à son tour ses frontières à l’Arménie. Plus aucun convoi ne peut passer ; plus aucune ressource d’énergie. Il reste bien un oléoduc qui passe par la Géorgie, mais celui-ci est régulièrement saboté, une des conséquences  d’un autre conflit qui agite la région entre l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud.

Alors, la même année, le gouvernement arménien prend la décision de rouvrir Metsamor. L’un des deux réacteurs reprend du service en 1995. Samuel Shahinian, président du comité environnement, expliquait : « Notre peuple a tellement froid qu’on ne peut plus le raisonner. Ils veulent simplement avoir chaud. » Le vice-président, Ara Sahakian, ajoutait : « Il y a des risques, mais nous devons comprendre, et tout le monde doit comprendre, que nous n’avons pas d’autre choix. » The Independent, en Grande Bretagne, titrait : « Energy  starved Armenians risk a new Tchernobyl ».

Metsamor est considérée comme l’une des centrales les plus dangereuses du monde, notamment parce qu’elle est équipée d’une technologie qui ne répond plus aux normes de sécurité. Son système de localisation d’accidents lui permet de traiter des incidents de petite taille, mais son principal défaut est de ne pas avoir de container de confinement… tout comme à Tchernobyl. En cas de rupture importante, le système de ventilation rejettera les gaz directement dans l’atmosphère. Sans oublier les risques sismiques de la région, et sa proximité avec la frontière turque (16 km) et Erevan (36 km) qui héberge le tiers de la population du pays. 

Bien sûr, des travaux ont été effectués depuis la réouverture de la centrale, pour en améliorer la sécurité. L’Union Européenne a participé au financement d’une nouvelle centrale, construite sur le même site, qui devrait commencer à voir le jour à l’horizon 2016. Le gouvernement a également tenté de diversifier ses apports énergétiques, en construisant par exemple un gazoduc relié à l’Iran. Mais aujourd’hui encore, Metsamor fournit 40% de la puissance énergétique du pays.

Cette image d’une nation privée d’électricité, plongée dans le noir, m’a longtemps poursuivie. Et lorsque j’y suis allée pour la première fois en 2010, je ne savais pas ce que j’allais y trouver. Quand nous sommes arrivés à l’aéroport, mon père avait les larmes aux yeux. La dernière fois qu’il était venu, c’était vingt-deux ans auparavant. Je lui ai demandé ce qui avait le plus changé ; il a répondu : « Il y a de la lumière. »

Sur la place de la République à Erevan, l’une des deux places centrales de la capitale, il y a la Galerie nationale d’Arménie, le Musée de l’histoire d’Arménie, le Ministère des Affaires Etrangères et celui des Transports et des Communications, le palais du gouvernement et l’hôtel Marriott. Et puis aussi 2 750 fontaines qui s’allument en un spectacle d’eaux et lumières tous les soirs d’été. 

C’est ça qui m’a marquée.

Un spectacle d’eaux et lumières dans un pays constamment menacé par sa propre énergie.

Il y a quelque chose d’ironique.

Il faut s’imaginer… un pays pauvre, rocailleux, d’une extrême sobriété dès qu’on sort de Erevan, et au milieu, au centre du centre, il y a ce point lumineux, cette fontaine, et son spectacle d’eaux et lumières. Je m’imagine qui si on pouvait juste voir l’Arménie depuis l’espace, tout serait noir, à l’exception de ce petit point multicolore au milieu de Erevan. Comme une guirlande de Noël au milieu de la nuit.

C’est dérisoire, bien sûr, il n’y a personne à blâmer, à qui jeter la pierre (pourtant nombreuses en Arménie). Ce n’est pas ça qui va faire couler le pays ou provoquer un nouveau Fukushima.

Mais symboliquement…
Ça m’a fait sourire.
« C’est dans les gênes », je me suis dit.

Dans ma tête, je me tiens là au pied de cette fontaine. Dans ma tête, je suis obnubilée par les faisceaux de toutes les couleurs qui dansent devant mes yeux. Je sais pourtant, que toute l’énergie se consume, que tout le reste, autour de moi, est plongé dans le noir, je sais qu’il y aurait sans doute mieux à faire que d’éclairer des fontaines, et je sais qu’en me tenant au bord de cette fontaine, je suis au bord de Tchernobyl. Mais je ne peux pas éteindre la lumière, ou même simplement en avoir moins. Il me faut, quelque part, cette absurde étincelle qui ne tient qu’à un séisme.

On ne peut pas demander à quelqu’un d’éteindre la lumière après en avoir été tant privé.

mardi 9 décembre 2014

24.07.2014 : Bus et déchirements


« If you go away » - Emiliana Torrini

Depuis quelques jours, je réécoute en boucle cette chanson interdite. J’ai certaines superstitions comme ça, des vêtements que je ne mets plus ou des albums que je n’écoute plus parce que les dernières fois que je les ai portés / écoutés / aimés ont été des jours douloureux. Alors je les ai remisés dans un coin et essaye de les garder le plus à distance possible.

Mais cette fois, je ne sais pas… J’étais dans le bus de nuit, il y a quelques jours. Il faut savoir que le bus de nuit est peut-être l’un de mes endroits préférés sur Terre. J’aimerais ne faire que ça, regarder Paris défiler sous les réverbères en écoutant mes playlists nocturnes. Elles ne sont pas anodines, ces playlists, elles sont choisies avec soin.

Parce qu’il s’en est passé des choses dans ces bus de nuit. J’y ai vécu des passions aussi courtes qu’intenses,  j’y ai retrouvé des bouts de rêve sur le coin des fauteuils, j’y ai senti l’inspiration revenir en voyant, fugace, une scène se dérouler sous mes fenêtres, j’y ai pleuré, beaucoup, après une de ces trop nombreuses soirées à vouloir m’abimer au contact d’un autre, je m’y suis torturée l’esprit à penser à la poésie, à l’émerveillement, au quotidien – j’y ai eu parfois de grandes conversations tortueuses avec d’autres mais pour moi, un périple en bus de nuit se fait en solitaire. Chaque retour est un poème qui se compose en mélangeant la faune absurde de Paris by night et mes fantasmes que j’écris  sur les vitres. Et dans ces moments-là, même pendant les nuits de larmes, je me sens bien. Alors non, toutes les chansons ne conviennent pas à ces retours-là. Il faut qu’elles soient aussi intenses que le voyage.

Et donc, on y est. Il y a deux jours, dans ce bus de nuit à quatre heure du matin. J’ai encore dans la tête les phrases d’un couple qui se déchire et je pense alors à mes déchirures à moi. Aux retours. Et là, soudain, cette envie, ce besoin de ressortir cette chanson, malgré tous les interdits. Une reprise de « Ne me quitte pas » en anglais, avec des paroles et un fond forcément très différent. La première fois que j’ai entendu cette chanson, je n’ai pas tant ressenti le besoin, l’angoisse de la perte ou les sacrifices qu’on est capable de faire pour un petit bout de l’autre, non, pas tant ça qu’un monde qui s’écroule, et toutes les choses qu’on perd quand une poésie meurt. Et cette chanson-là, je l’ai écoutée, réécoutée, écoutée encore à m’en rendre malade il y a quelques années. Je traversais à ce moment là la rupture la plus douloureuse qu’il m’ait été donné de vivre. Non pas parce qu’il s’agissait de la fin d’une histoire de couple, mais celle d’une histoire d’amitié devenue trop ambiguë pour se supporter elle-même.

Tout s’est passé de la manière la plus stupide. C’était une histoire simplissime, l’impression d’avoir en face de soi, sans l’avoir cherché ni réalisé tout de suite, quelqu’un d’unique, qui transfigure même tout votre quotidien, qui vous donne des ailes, que vous êtes impatients de retrouver chaque semaine comme un gamin attend avec impatience les vacances pour revoir son pote de Biarritz. C’était ce degré là de simplicité, parce qu’on n’avait rien vu venir : il n’y a pas eu d’explosion, de révélation, d’instant magique. Nous nous étions immiscés doucement l’un dans la vie de l’autre sans vraiment nous en rendre compte – et c’était parfait comme ça. Sauf que nous n’étions plus des enfants se retrouvant une fois par an sur les plages des vacances, sauf qu’on finit toujours par remettre la simplicité en question, et qu’on ne peut pas s’empêcher d’aller voir un peu plus loin, juste comme ça, pour voir s’il n’y a pas moyen de. Alors on pousse une porte – celle de sa chambre – et on se rend compte trop tard qu’on a franchi une limite interdite et que l’histoire est à jamais gâchée parce qu’elle était simple, beaucoup trop simple justement, et qu’on ne pourra jamais revenir à ce niveau de simplicité après autant de confusion. Il parait qu’il faudrait crier un mois non-stop pour évacuer toute l’adrénaline accumulée pendant un saut à l’élastique. Ici, pareil : il aurait au moins fallu une double amnésie et prier pour que le destin nous accorde la chance d’une nouvelle rencontre pour retrouver la simplicité.

Qu’est-ce que j’ai pu l’écouter cette chanson après ça… Les paroles hurlaient dans ma tête à longueur de journée à m’en rendre dingue. C’était tout ça que j’aurais voulu lui dire. J’aurais voulu lui dire… Ne me laisse pas là parce que tu as été la seule personne, toutes ces années, à qui je n’ai pas menti. Ne me laisse pas là parce que tu étais mon joyau, un îlot de douceur et là, tu vois, ce n’est plus un trou que j’ai dans le ventre mais un cratère qui va m’engloutir toute entière. Ne me laisse pas là avec toute cette décharge d’amour qu’on n’a même pas eu le temps de consumer parce que qu’est-ce que je vais faire avec ça, moi, toute seule avec ce truc immense alors que tu étais devenu le seul – le seul – que j’arrivais à supporter ?

J’avais tout ça à dire mais voilà, je ne lui ai rien dit. J’ai simplement laissé cette chanson parler à ma place.

Peut-être était-ce à la même période, peut-être pas exactement mais toujours est-il que je m’en suis souvenue après ça. J’étais en voiture avec mon père. Mon père, souvent, ne sait pas comment aborder des sujets difficiles. Il use de métaphores, il prend des chemins détournés. Lui aussi est sans doute un peu poète. Nous écoutions la radio, et puis est passée « Ne me quitte pas », justement, en français cette fois. A la fin, mon père m’a dit : « Je n’aime pas cette chanson. Ce n’est pas ça l’amour, ce n’est pas devenir « l’ombre de son chien ». On ne peut plus parler d’amour quand on en arrive là. On ne devrait jamais en arriver là. »

Alors je ne sais pas où l’histoire s’est arrêtée, à quel moment elle a vraiment basculé pour « en arriver là ». Lui et moi, on ne se voit plus. On se croise, mais on ne se voit plus. Comme de tout, on finit par s’en remettre, plus ou moins. La peine quitte le corps entier pour se loger dans une partie du cerveau. 

Mais cette chanson… cette chanson réveille systématiquement, et toujours intacts, les sentiments de l’époque. La révolte, l’abandon. Et le souvenir d’un rayon de soleil passant par la lucarne, le coin de ciel bleu derrière et la douceur infinie de cet instant qui fut finalement le rocher sur laquelle notre histoire s’est crashée.


Si tu pouvais ne pas me porter la poisse, cette fois, Emiliana, ce serait sympa. 

29.01.2015 : Lettre à mon premier amour.





P.,

Oui, tu ne rêves pas, c’est bien à toi que j’écris aujourd’hui. J’aimerais bien voir ta tête, tiens. Je crois que je t’entends déjà me dire « Super. Ca me fait une belle jambe. » Mais ça fait déjà quelques jours que ça me démange. Normalement, j’écris tout à la main, et puis là, pas moyen. Je suis devant mon écran ; c’est un exercice nouveau pour moi, je ne sais pas trop comment m’y prendre. Je ne sais pas pourquoi je bloque. Peut-être parce que je t’ai écrit tellement de lettres à la main que je ne t’ai jamais données que ça n’a plus vraiment de sens de recommencer. Ou alors parce que cet écran là, entre nous, a eu un rôle important, aussi bien dans la rencontre que pour la rupture. Toi-même tu sais.

Et donc, oui, ça fait quelques jours que ça me démange. En même temps, je rêve tout le temps de toi en ce moment. Tu n’y es pour rien, je sais, mais j’aimerais bien que tu arrêtes de squatter mon inconscient, toi et tous les symboles que tu trimballes. C’est un peu de ma faute, aussi. Ce qu’il y a, c’est que j’ai commencé à jouer à un jeu sur téléphone, un jeu de conquête de territoires, et sans faire attention, je suis remontée dans ce bus. Ce fameux bus à trois chiffres que j’ai pris pendant des années pour venir chez toi. Et sans faire attention non plus, j’ai remis – presque instinctivement – la playlist de l’époque. Cake, The Cooper Temple Clause, Madrugada. Bubblegum de Mark Lanegan. Enfin, ça, je n’ai jamais vraiment arrêté de l’écouter, mais là, assise dans ce bus avec la voix de Mark Lanegan dans les oreilles me susurrant :

« Did you call for a night porter?
You smell the blood running warm
I stay close to this frozen border
So close I can hit it with a stone.”

… bin je te jure que ça fait un choc.

Tu te rends compte que ça fait sept ans que nous nous sommes séparés ?

Que je suis partie, d’accord.
Tu avoueras qu’on s’est quittés d’une manière un peu absurde.  J’ai toujours été nulle en rupture, ça, c’est quelque chose qui n’a pas changé. 

Encore aujourd’hui, j’aurais du mal à te dire ce qu’il s’est passé ce jour-là. Je me refais parfois le déroulé de ces quelques heures, mais je ne les comprends toujours pas. Il y a eu un craquement. Ca a pris une fraction de seconde. Ne me demande pas pourquoi. Je ne sais toujours pas comment il est possible de pouvoir quitter quelqu’un en un seul instant après l’avoir aimé pendant autant d’années. Le temps, simplement, de reprendre une bouffée d’air.

Les premières années, j’ai été en colère contre toi. Parce qu’en te quittant, j’ai découvert un jeu pour lequel j’avais l’impression de partir avec un handicap. J’ai passé tant d’années avec toi sur le qui-vive, avec la peur constante que tu te braques encore une fois, que tu me quittes, avec l’inquiétude sourde du rejet brutal après chaque moment de calme. Je ne connaissais que ça quand je suis partie, et c’est ce que j’ai continué à chercher pendant presque sept ans. Sept ans d’errance sentimentale à m’attacher à ceux qui, surtout, ne voudraient pas vraiment de moi. Sept ans à détester ceux avec qui je commençais à avoir un semblant de relation, quelle qu’elle soit. Sept ans à me battre en silence, mentalement, contre tous ceux qui partageaient avec moi un jour, une nuit, une semaine, un mois, une vie. Tu n’imagines pas à quel point j’ai pu haïr le sentiment amoureux, à quel point j’ai pu avoir envie d’arracher ce truc qui vient te coller au ventre mais qui te fait beaucoup plus de mal que de bien.

Pendant un temps, j’ai choisi ceux qui ne me faisaient plus rien. C’était moins douloureux.
Mais c’est vite chiant aussi.

Et puis voilà.
Il s’est passé quelque chose, quelque chose qui était en gestation depuis un moment mais qui vient d’exploser. Et ça, j’avais envie de t’en parler.

Tu sais, j’avais arrêté la psychanalyse quand notre relation a commencé.
Et puis je l’ai reprise.
La semaine dernière, il y a eu une séance libératrice où, tout d’un coup, j’ai compris.
J’ai compris, notamment, que ça n’avait rien à voir avec toi, que ça remonte à bien plus loin.
J’ai compris que j’avais appris à aimer en pleurant,  j’avais appris que la seule manière d’exprimer ses sentiments se fait par les larmes.
« Je souffre pour toi, ça veut dire que je t’aime. »
J’ai compris que c’était une belle connerie, surtout.

Et de me dire ça, ça a tout dénoué d'un coup. 
Comme si le géant assis sur mes épaules venait de se péter la gueule et que je pouvais tout d'un coup m'envoler si j'en avais envie. 

En fait, tout ce que je voulais te dire, c’est que je suis en train de devenir quelqu’un de bien.
Que je refuse le silence, maintenant. Je suis encore un peu maladroite, parfois, quand il s’agit de s’exprimer, mais je m’y tiens.

Je voulais aussi te dire que finalement…
« C’est pas toi, c’est moi. »
Ca, je ne te l’ai pas sorti à l’époque.
Je pourrais le faire maintenant.

Mais ça, ça t’en ferait vraiment une de belle jambe. 

02.03.2015 : Bruges : le calendrier des villes ou l'importance d'être ambidextre.



Il y a des villes comme ça sur lesquelles je ne sais pas quoi dire. Lorsque je voyage, il se forme presque systématiquement dans ma tête une histoire. Ou bien, un petit élément du lieu prend une dimension énorme, un détail vient m’en rappeler un autre et alors, une quantité de mini connexions se font avec une autre chose vue ailleurs, une personne, une question, et c’est toute une toile qui se dessine sur les murs, sur les pavés. Et comme ça, la ville me parle.

Mais à Bruges, la ville est restée silencieuse. Les quelques jours passés là-bas étaient pourtant agréables, mais j’avais, je crois, une appréciation très intellectuelle du lieu : je voyais que cette vieille cité médiévale était jolie ou historiquement riche, mais je ne me souviens pas d’avoir ressenti une émotion. Sans doute le résultat d’une ville si résolument ancrée dans le passé qu’elle est presque devenue un Disneyland miniature pour touristes en quête de pittoresque.

Je n’ai rien trouvé sur la grande place du marché, ni devant le beffroi ; les rues pavées qui façonnent tout le centre ville historique, les ponts qui enjambent les canaux, tout me semblait figé. La nuit apportait une couleur différente, revêtait les rues d’une ambiance mystérieuse qui transformait la ville en un théâtre. Un théâtre, donc, une représentation, un masque de cire posé sur un sol qui fut autrefois bouillonnant.

On a mis Bruges dans du formol. On l’a vitrifié, et en la visitant, ce sont des esprits du passé qu’on regarde à travers le bocal.

Les rues sont un accès direct au Moyen Age, l’âge d’or de la ville. L’ironie, c’est que cet âge d’or est dû, en quelque sorte, à une destruction. Le 4 octobre 1134, un raz de marée vient percer un accès direct entre Bruges et la mer du Nord. On appelle ce nouveau canal le Zwin. Rapidement, la ville, située à une position stratégique entre l’eau et les routes qui mènent vers l’intérieur des terres, devient une escale majeure du commerce mondiale. Au XIIe siècle, le marché de cette « Venise du Nord » est considéré comme le plus sophistiqué des Pays Bas, notamment pour la vente de draperies luxueuses.

Oui, mais voilà : quand le succès repose sur un banc de sable, il peut disparaitre avec la prochaine marée. A la fin du XVe siècle, le Zwin salvateur s’ensable définitivement et la connexion avec la mer est rompue. Petit à petit, Bruges s’appauvrit au profit d’Anvers. La cour de Bourgogne quitte la ville ; et lorsque les Pays Bas, par un jeu d’héritage et de mariage entre les Ducs de Bourgogne et la Maison de Habsbourg, passent sous domination espagnole, Bruges, devenue sans intérêt, est laissée à l’abandon. Mais à partir de 1570, plusieurs provinces en majorité protestante se soulèvent contre la couronne espagnole. En 1581, sept provinces font scission via l’Acte de La Haye et se constituent en une République fédérale, les Provinces Unies. S’en suivra la Guerre de Quatre-Vingts ans – ou la « révolte des gueux » (je rêvais de placer ce mot) – à laquelle plusieurs grandes villes extérieures à ces provinces prennent part à leur tour. Bruges en fait partie ; et son déclin n’en sera que précipité. A la fin de la guerre, marquée par le Traité de Westphalie en 1648, Bruges n’est plus qu’une pauvre petite ville de province.

Tout ça à cause d’un bras de mer qui s’ensable.

A partir de là, toutes les tentatives que mettra la ville en place pour se relever auront pour objectif de renouer avec son passé de star commerciale. Un peu comme Loana après la fin du Loft. Bruges parviendra cependant à devenir une attraction touristique, grâce à son vieux centre ville, classé depuis au Patrimoine Mondial de l’UNESCO.

Le passé est préservé. Tant mieux, sans doute. Mais comment rester tourné vers l’avenir, comment garder son dynamisme quand des monuments si imposants, si écrasants qu’ils en deviennent sacrés, vous renvoient sans cesse vers un autre temps ?

Il y a eu une polémique à Paris, récemment, autour de la tour Triangle, un projet de gratte ciel de 180 mètres de haut et de 42 étages qui devait être construit dans le quartier de la Porte de Versailles. En novembre 2014, le Conseil de Paris a finalement voté contre ce projet. Parmi les arguments des opposants, la consommation énergétique était avancée, malgré les solutions géothermiques et de panneaux solaires proposées par les architectes ; on reprochait aussi au bâtiment le fait qu’il soit uniquement destiné à accueillir des bureaux, dans une ville où tant de locaux sont vacants et où trouver un logement revient à chercher du pétrole. Mais la critique qui revenait sans cesse – ou en tout cas, celle d’ordre esthétique – s’adressait à la verticalité du bâtiment. L’UNESCO (toujours lui) rappelait notamment que Paris était l’une des dernières grandes capitales horizontales, et qu’il fallait préserver cette spécificité. D’autres affirmaient qu’une tour n’était cohérente que si elle était en dialogue avec d’autres tours, comme à la Défense ou à New York. Je n’ai pas vraiment d’avis sur l’esthétique du projet en lui-même et à New York, justement, je n’ai pas aimé cette verticalité étouffante pour le regard, tout autant que par le symbole que ces tours semblent porter : pour avoir accès à un bout de ciel, il faut grimper plus haut que les autres.

Bref.

Ce qui m’a interpellée dans l’histoire de la tour Triangle, c’est la réflexion de Christian de Portzampac, architecte et urbaniste français qui travaille beaucoup sur la verticalité, et n’est donc pas totalement objectif dans cette histoire :

« Les villes représentent le passé, le présent et elles nous montrent le futur. Elles assurent la coexistence des générations comme une sorte de « calendrier » où nous vivons dans ce que nos ancêtres ont construit et que nous transformons pour nos enfants. Les villes racontent une histoire, mais elles doivent aussi montrer que le futur existe, il ne faut pas interdire que les constructions neuves et de grande qualité s’insèrent. Il peut y avoir des variations dans la ville historique qui vont l’embellir et la transformer un peu. »

Christian exagère peut-être un peu : je ne crois pas que Paris soit déjà moribonde, et certains quartiers ont été largement rénovés ces dernières années, ne serait-ce que tout l’ensemble des Grands Moulins dans le 13e arrondissement, dont j’ai vécu l’inauguration pendant ma dernière année de licence. Mais il appuie sur un point qui m’avait déjà interrogée avant : quid de la « ville historique » ? Que se passera-t-il quand nous aurons investi tous ces quartiers qui sont encore un peu neutres, et qui laissent de la place aux monuments modernes ? Continuera-t-on de construire à la périphérie, quitte à exiler les habitants du très Grand Paris, quitte à faire du centre ville un musée semblable Bruges ? Ou osera-t-on, un jour, s’attaquer au passé sacralisé ? A partir de quel moment franchit-on la limite entre la nécessaire conservation de la mémoire et de ses enseignements, et l’encombrement qui interdit tout mouvement, toute remise en question ? Quand passe-t-on de la culture-mouvement qui nourrit, au culturel-musée qui fige ? Et comment accepter le passé sans qu’il devienne une entrave, comment construire à partir de lui ?

Ces questions là, oui, elles me sont venues à Bruges. Comme quoi, la ville a fini par me parler.

Mais ce n’est pas elle qui m’a donné un semblant de réponse. Pendant ce séjour, nous sommes rentrés dans une petite cour pavée, dans laquelle une annonce pour un concert gratuit de harpe était affichée. Nous n’avions rien d’autre à faire, et même si nous n’avons pas un penchant naturel pour la harpe, nous avons décidé d’y assister. Il s’agissait de Luc Vanlaere, un monsieur qui joue seul ses morceaux sur plusieurs instruments différents : des harpes classiques, des très anciennes venues d’Asie et d’autres qu’il a construites lui-même. Je suis loin d’être une experte en harpe, mais ce croisement de sons anciens, d’autres venus d’ailleurs et ces sonorités plus contemporaines, recréaient un monde nouveau. J’avais l’impression d’entendre de la harpe pour la première fois. Tel vieil instrument reprenait vie en vibrant avec tel autre. Et je me suis dit que je pouvais tout aussi bien faire pareil avec mes souvenirs encombrants.

Le fait est : je ne me débarrasserai jamais de ma mémoire armoire – à moins d’avoir un jour Alzheimer. Bruges et Paris ne détruiront jamais leurs bâtiments les plus historiques – à moins d’être rasées. Mais elles comme moi avons encore des milliers de vies à vivre. C’est ce que m’a murmuré ce musicien un peu fou en pinçant toutes ses cordes : tous ces souvenirs, toutes ces vies entassées, sont autant de notes et de variations qu’on peut apporter à une gamme. Pas besoin de s’en débarrasser : il faut juste composer avec tous les éléments et savoir les faire dialoguer. C’est aussi ça, le multiculturalisme. Et pour en profiter au maximum, mieux vaut s’exercer et développer sa flexibilité pour maîtriser son instrument et en jouer librement. 


C’est ça que j’ai retenu de Bruges : il faut être ambidextre dans cette vie, parce que personne ne viendra faire ta main gauche. 

vendredi 8 août 2014

05.08.2014 : Grimper une montagne en Arménie, en Malaisie et puis en France.



Je repense souvent à lui,  au mont Kinabalu - une montagne de Malaisie dont le point culminant se situe à 4095 mètres.  C’était en 2012, ma première randonnée (et ma dernière so far), qui est devenue une expérience un peu symbolique à laquelle j’aime bien me référer.

Mais je crois qu’il faudrait d’abord évoquer l’Arménie pour mieux comprendre. En août 2010, je suis partie avec mes parents et mes frères à Erevan : il s’agissait de notre premier voyage en Arménie. Mon cousin, Vanick, avait lui aussi décidé de passer quelques mois là-bas. Nous nous étions donc tous retrouvés dans cette capitale dont nos grands-parents nous avaient tant parlée, la terre de nos ancêtres sur laquelle ils n’avaient pourtant jamais vécu. Mais ça, c’est une autre histoire.

Vanick nous avait proposé, à mes deux frères et moi, de partir faire une balade dans la montagne avec d’autres personnes qu’il avait rencontrées à Erevan. Nous avons loué un car et nous sommes tous partis nous « balader ». Le car a longuement roulé sur un chemin qui gravissait une montagne aride, ruisselante de cailloux. C’est étrange l’Arménie, pour cela. C’est un pays rocailleux (la légende veut que Dieu ait lancé une pierre pour en faire l’Arménie lorsqu’il a créé le monde), mais au détour d’un col, d’un tunnel, d’un versant, on peut se retrouver tout d’un coup face à un beau paysage vert, vivant, qui tranche avec l’ocre et le gris qu’on voit d’habitude partout. C’est étrange, mais je me suis récemment rendu compte que c’est une spécificité de la nature qui décrit en même temps parfaitement les Arméniens que je connais : un mélange de rudesse, de sobriété et d’une incroyable soif de vivre. Mais ça aussi, c’est une autre histoire.




Nous sommes finalement arrivés au début du chemin que nous avions prévu d’emprunter. Avant de nous mettre en route, nous nous sommes arrêtés dans un petit restaurant traditionnel de montagne dans laquelle était servie de la nourriture « spécial montagnard ». Le « spécial montagnard » arménien n’a rien à voir avec de la raclette : il s’agit du ratch, un bouillon de pied de cochon dans lequel on trempe du vieux lavach, un pain oriental très fin que l’on prépare sous forme de gigantesque feuilles rectangulaires – pour tout dire, ça pourrait faire nappe. Nous étions les seuls dans ce refuge ; la serveuse nous a servi la soupe, et c’était à nous de mettre le pain jusqu’à ce qu’il ait imbibé tout le bouillon pour devenir une sorte de pâte. On mange ensuite ce ragoût avec du lavach frais, en en faisant une sorte de tacos. Je ne vais pas mentir, c’était immonde (à mon goût). Mais tout comme le requin pourri en Islande, ça vaut le coup d’essayer. Mais là encore, c’est une autre histoire.


* Un pied de cochon dans le ratch *



 * Préparation du lavach *

Après ce mémorable déjeuner, nous nous sommes mis en route. Devant nous, un petit chemin rocailleux serpentait vers le sommet. Pas un arbre, juste des cailloux. Au bout de quelques mètres, nous avons croisé une famille d’Arméniens en train de préparer un barbecue. Ils nous invitent à manger avec eux, mais nous avions encore le ratch en travers de la gorge. Qu’importe, ils nous proposent pour faire passer ça de boire avec eux l’orri, cette vodka arménienne très parfumée, en général à l’abricot. Nous acceptons, ce serait malpoli de refuser. Quelques orris plus tard, nous voilà dansant le kotchari au milieu de la montagne, avec cette famille montée à quelques milliers de mètre d’altitude pour faire leur barbecue. Le kotchari ressemble un peu, sur le principe, aux danses bretonnes dans lesquelles on se tient par le petit doigt en faisant un cercle. Cette danse a longtemps été pour moi le seul intérêt des mariages, puisque c’était l’un des rares moments où nous étions suffisamment nombreux et dans une salle suffisamment grande pour pouvoir le danser. J’aime toujours autant cette danse (et les mariages). Mais ça…

Une fois notre ventre plein de ratch et d’orri, nous nous sommes vraiment engagés sur le chemin. Et c’est là où je voulais en venir : nous étions alors à plus de 3000 mètres d’altitude, et j’ai évidemment expérimenté ce à quoi on devrait s’attendre à de telles altitudes (sauf pour les novices comme moi) : le manque d’oxygène. Je suis partie toute vaillante sur les cailloux, mais au bout de quelques mètres, j’ai senti que je ralentissais, que je n’avais plus de souffle, et qu’il était impossible de marcher à un rythme normal. Mais nous avons continué à avancer entre les rochers, nous avons vu les premières plaques de glace ici et là. La pente devenait de plus en plus raide, je glissais en Converse sur les cailloux (car, pour rappel, j’étais pour ma part partie pour une « balade ») et arrivée à quelques mètres du sommet, je me suis sentie vraiment fatiguée. Mais pas non plus anéantie. J’ai décidé, je crois, de m’asseoir quelques instants, et mes frères ont commencé à se faire du souci. Très rapidement, ils m’ont dit de m’arrêter. Je voulais continuer, mais ils m’ont répété que j’étais trop fatiguée, que c’était trop dangereux. Clément est resté avec moi. Vicken, lui, a continué à monter. Le sommet n’était pas loin, il allait faire l’aller-retour.


* Sur le glacier *

Quand il est revenu, il nous a raconté ce qu’il avait vu de l’autre côté du versant. Un paysage magnifique, parait-il, mais je ne l’écoutais déjà plus. Nous avons commencé à descendre, et je suis partie devant eux, furieuse. Je crois qu’à ce moment là, j’en voulais à la terre entière : à mes frères, pour ne pas m’avoir encouragée à continuer plutôt que de me forcer à m’arrêter, à moi qui ne leur avais pas dit que je pouvais et surtout voulais continuer, au manque d’oxygène, au ratch et à l’ orri. Bref, cette expérience là s’est terminée pour moi avec une certaine amertume, parce que je n’étais pas allée jusqu’au bout et parce que je n’avais pas vu l’autre côté.

Et me voila un an et demi plus tard en Malaisie. Nyamuk et moi vivons à Bali depuis un mois et nous avons du sortir du territoire pour renouveler nos visas. Nous avions décidé de rejoindre Joséphine, la sœur de Nyamuk, à Singapour où elle vivait pour quelques temps, puis de partir tous ensemble sur l’île de Bornéo. Joséphine est férue de randonnée, c’est elle qui nous a proposé l’ascension du mont Kinabalu. J’ai rappelé plusieurs fois que je n’avais jamais fait de randonnée, mais le site du Sabah Parks, qui organise toutes les activités touristiques liées au mont Kinabalu, se voulait rassurant. Nous sommes arrivés la veille pour dormir dans une auberge proche du point de départ de la randonnée située à 1890 mètres d’altitude. Nous avions rencontré dans l’auberge Caroline, une Française venue enseigner en Indonésie et qui voulait elle aussi se payer une tranche de Kinabalu. Nous avons finalement fait l’ascension tous les quatre.

A priori, nous étions bien équipés. Nyamuk et moi n’avions prévu que des affaires d’été pour notre voyage en Indonésie, et nous avions du acheter des manteaux chauds, écharpes, bonnets et gants en arrivant à Sabah. Pour les chaussures, le guide nous conseillait des Adidas Kampung : les Adidas Kampung ne sont PAS des Adidas, ce sont des sortes de Crocs noires, en caoutchouc, avec des petites ventouses sous la semelle. En voyant à quoi ressemblaient les Adidas Kampung, j’ai préféré partir avec mes bonnes vieilles running Asics…

Pour grimper sur le mont Kinabalu, il faut avoir un guide agréé. Peut-être une manière de se faire plus d’argent, mais pour nous, ce fut vraiment nécessaire. Il faut compter environ six heures de marche pour atteindre le refuge de Laban Rata à 3270 mètres d’altitude. Après quelques heures de sommeil là-bas, il faut repartir vers trois heures du matin pour gravir les derniers mètres et assister au lever du soleil au sommet du mont Kinabalu. Au début de notre périple, le sentier s’enfonçait dans une forêt ombragée où poussaient des plantes carnivores. Le chemin était étroit et parfois encombré de gros rochers qu’il fallait presque escalader. Nous marchions plutôt bien, Nyamuk et Caroline devant, Joséphine et moi derrière – et notre guide encore plus derrière, qui nous laissait toujours partir devant mais nous rattrapait avec une vitesse fulgurante dès que nous nous arrêtions. Assez rapidement, il s’est mis à pleuvoir. Des trombes d’une eau chaude, épaisse, qui ne s’arrêtait plus. Je revois encore le chemin se transformer en un petit torrent duquel affleuraient les rochers. Je revois aussi mes chaussures qui disparaissaient dans cette eau boueuse, mais je ne me souviens pas de la fatigue physique. Celle-là ne m’est tombée dessus qu’en arrivant au refuge. J’étais frigorifiée, mes vêtements trempés et je rêvais d’un réconfort similaire à celui qu’on éprouve en rentrant au chalet après une journée de ski : de la chaleur, des fauteuils moelleux, et éventuellement un feu de bois. Evidemment, il n’y avait rien de tout ça : l’eau des douches était froide et la pluie avait traversé nos sacs et imbibé tous nos vêtements. L’humidité, le froid, la perspective de ne pouvoir se reposer que quelques heures avant de repartir : tout cela devenait très désagréable pour moi – et pourtant, je me souviens qu’il n’y avait pas d’autre endroit sur terre où j’aurais voulu être. Pour avoir des vêtements secs, j’ai acheté un hoodie Mont Kinabalu, et Joséphine des Adidas Kampung.


* Plantes carnivores *

Dans le dortoir, malgré les lits simples superposés, Nyamuk et moi avons décidé de dormir ensemble. Ce n’était pas la première fois que nous nous entassions sur un même matelas, même si nous pouvions faire autrement. Nous pouvons être très niais parfois. Souvent. Même trempés à 3000 mètres d’altitude. Car même si on peut penser que cette promiscuité pouvait nous réchauffer, je crois qu’un minimum de confort pour ces quelques heures de sommeil aurait été un peu plus profitable. Je me sentais fiévreuse et moite, je n’avais pas spécialement envie d’un autre corps fiévreux et moite à mes côtés. Mais on ne se refait pas.

A deux heures du matin, le réveil a sonné, et nous sommes partis sur ce qui allait bien sûr être l’étape la plus dure de la randonnée. Nous avancions de nuit, éclairés par nos lampes frontales. Notre point de repère, c’était cette file indienne de petites lampes qui gravissait le sommet, la lumière de ceux qui avançaient devant nous. La pente s’est raidie un peu plus et nous devions nous aider de cordes accrochées sur les rochers pour gravir certains passages. C’est là que les choses ont commencé à se gâter. Mes running ne servaient plus à rien : je glissais sur les rochers et j’avais une vraie frousse de me casser la figure. Il faut dire que la veille, nous avions vu des guides (en tong) descendre quelqu’un en civière en courant. Le quelqu’un en question avait un drap sur la tête, ce qui n’augurait rien de bon quant à son état. Notre guide m’a demandé si j’avais d’autres chaussures. « Non, à part les Adidas Kampung de Joséphine ». J’ai vu son visage s’éclairer : « Oui, oui, c’est ça qu’il faut prendre ! » Puisqu’il faut faire confiance aux professionnels, j’ai suivi son conseil, avec quelques doutes quand même. Mais maintenant, je peux le dire : les Crocs d’Asie du Sud Est m’ont sauvée la vie.

Elles m’ont en tout cas permis de continuer. Ces petites ventouses font des merveilles. Mais elles n’ont pas réglé le fameux problème de l’oxygène qui a sérieusement commencé à nous manquer. Je sentais que j’arrivais vraiment au bout de mes forces. Nyamuk, Caroline et Joséphine étaient partis devant. Je restais avec le guide qui voyait que ça n’allait pas. Il me donnait de l’eau régulièrement, me faisait passer par des chemins, soi-disant plus faciles – mais je le soupçonne d’avoir simplement voulu faire diversion. Et lui qui était si silencieux depuis le début de la randonnée s’est mis à me poser beaucoup de questions, à me parler de sa famille, de son travail et de sa religion. Mais il ne m’a pas demandé si je voulais m’arrêter. Pour lui, c’était l’évidence même : bien sûr qu’on pourrait aller jusqu’au bout. Je me suis demandée ce que je lui aurais dit s’il m’avait posé la question…

C’est là que les souvenirs de l’Arménie me sont revenus. Est-ce que je veux continuer ? J’ai marché près de dix heures sous la pluie, j’ai dormi frigorifiée dans un refuge, j’ai glissé sur une dizaine de rochers. Le soleil va se lever dans quelques minutes. De l’autre côté, il y a ce paysage magnifique que mon frère a vu en Arménie, que moi je n’ai pas pu voir parce que je n’ai pas continué. Il ne reste que quelques mètres, et j’y suis à ce sommet. J’y suis face au soleil, face à un paysage qui n’est pas donné à tout le monde. Encore quelques mètres, et j’aurai toute l’oxygène dont j’ai besoin. Est-ce que je veux continuer ?

Evidemment, j’ai continué. En arrivant au sommet, j’ai lâché mon guide et j’ai commencé à crier « Nyamuk ! Nyamuk ! » (en utilisant sont vrai prénom, par contre) par-dessus les têtes de tout ceux qui étaient déjà installés pour le lever du soleil. Je ne voulais pas être arrivée là et ne pas partager ça avec lui. A ce moment là m’est revenue une scène dans « Titanic » dans laquelle Kate appelle désespérément Jack dans l’eau. Voilà, pareil.

Nous avons vu le lever du soleil ensemble. C’était un moment indescriptible. Pas seulement pour la beauté du jour qui se lève, qui part du pied de la montagne pour monter jusqu’à nous. Pas uniquement pour toutes les couleurs de l’arc-en-ciel qui se bousculaient devant nos yeux. Mais aussi pour l’incroyable expérience que nous venions de vivre ensemble avec Nyamuk et surtout, surtout pour le chemin parcouru pour en arriver là, la lutte contre moi-même, contre la fatigue et le découragement. Je voulais revenir deux ans en arrière et dire à mes frères et à mon moi passé que cette « balade » dans la montagne arménienne, ce n’était rien par rapport à ce que je ferai après, que contrairement à ce qu’ils pensent, je suis capable de bien plus pour peu qu’on me laisse faire.

Je pense souvent au mont Kinabalu parce que j’ai besoin de ce genre de symbole, d’encouragement à moi-même. J’ai besoin de croire que quelque part en moi, il y a ce courage là, où cette révolte contre les discours qui me disent que je ne peux pas. J’ai besoin de me dire qu’en ce moment, je suis sur les derniers mètres du mont Kinabalu, que je n’ai plus d’oxygène, plus de forces, que je suis épuisée et que ce guide à mes côtés me dit des trucs dont je ne vois pas le rapport mais qui ont leur importance, et que surtout, au bout de ces quelques mètres, il y a l’autre côté de la montagne et le lever de soleil, et que je ne devrais laisser personne, et surtout pas moi-même, me dérober ce versant-là, ce soleil-là, et les bras de Nyamuk qui m’attend au sommet.


Encore un petit effort et je le verrai le lever du soleil. Tant que personne ne me dit d’arrêter.



lundi 28 juillet 2014

13.07.2014 : Since I came back, I've been away - le voyage du retour au France jusqu'aux vacances à Cancale en passant par le cosmos.



Le chaos.
Il y en aura eu ces derniers mois.
Je suis rentrée, et puis
Et puis je ne sais plus.
Le trou noir.

Un trou noir est le résultat de l’effondrement d’une étoile massive.  En grandissant, la force de gravité qui fait tenir ensemble le gaz, les poussières et tous les matériaux qui forment l’étoile devient trop forte pour l’étoile. Toutes ces particules finissent par s’effondrer sur elles-mêmes, se contractent, comme attirés par un aimant autour d’un même point. L’étoile massive devient une masse compacte, très dense, beaucoup plus petite, mais avec une attraction gravitationnelle extrêmement élevée : c’est le cœur du trou noir, la singularité gravitationnelle.  Le poids de cette masse crée une déformation dans l’espace-temps, comme si on posait sur une nappe tendue une grosse bille de plomb : la nappe se creuse autour de la bille, comme le fait l’espace autour du trou noir. Et encore autour de la singularité, un espace se forme, appelé « horizon du trou noir » : tout ce qui franchit la limite critique et pénètre dans l’horizon du trou noir ne peut plus en sortir. Paradoxalement, ce qu’on appelle  « l’horizon » est finalement un point de non retour. La force gravitationnelle exceptionnelle du trou noir entraine tous les éléments de son horizon dans un tourbillon dans lequel la matière est chauffée à des températures considérables, avant d’être engloutie. De cet horizon, la lumière elle-même ne peut plus sortir : les photons y sont piégés. C’est pourquoi cet effondrement a pris le nom de « trou noir » (malgré les protestations de certains scientifiques, notamment français, qui trouvaient l’expression inconvenante) : parce que de l’extérieur, on ne peut voir qu’un espace noir ; alors qu’à l’intérieur, c’est un espace en fusion, un espace que la physique est encore incapable d’expliquer ou d’imaginer.

Le trou noir n’est pas tendre avec la matière qu’il entraine dans son horizon. Le temps s’écoule différemment dans le trou noir : un observateur qui se trouverait au-delà de la limite critique voit le temps s’écouler plus vite qu’un observateur extérieur qui, à l’inverse, verra l’autre évoluer plus lentement. Mais il ne pourra de toute façon jamais y avoir d’observateur intérieur et extérieur : toute particule qui franchit la limite critique de l’horizon est soumise à des forces d’attraction différentes qui finissent par la déchiqueter avant d’être engloutie par le trou noir et de venir alimenter sa masse. Cela, c’est ce qu’on appelle la force de marée : ce serait comme si on attachait un poids de dix tonnes aux pieds de quelqu’un, tout en tirant avec vingt tonnes au sommet du crâne. Un écartèlement, en somme.

Et donc, moi, je suis dans le trou noir.
Et au milieu de ce trou noir, j’ai vu
un à un
mes rêves
se dé
cro
c
h
e
r
entraînés par un tourbillon qui engloutissait tout sur son passage, sans que j’ai pu faire le moindre mouvement pour les retenir.

Je suis rentrée, et j’ai senti une déformation de l’espace temps, tout allait trop vite autour de moi et je me suis vue ralentir, ralentir, ralentir

Je suis rentrée légère, et j’ai retrouvé dans l’horizon les vieilles histoires laissées en plan, planant entre les cauchemars et un futur raturé sur du papier froissé, qui m’alourdissent
qui m’écartèlent

Je suis rentrée et soudain je n’ai plus rien senti

Les particules, les sensations ne sortent plus du tourbillon, elles viennent à moi et tournent si vite que je ne les identifie plus, que je les vois simplement se heurter et s’écraser entre elles avant qu’elles puissent m’atteindre ou que je puisse les renvoyer

Je suis rentrée et j’ai senti l’oxygène commencer à me manquer
et cette pensée
cette pensée obsédante
« Où est la fin ? »
« La fin du trou noir ? »

Le problème, c’est que la physique n’a pas encore résolu cette question.

La [mot qu’on ne prononce pas]
ce n’est pas ne plus croire en la vie
au contraire
c’est de savoir qu’elle vaut mieux que ça
qu’elle peut nous renverser d’extase
(sur les rochers de Falkenberg, au sommet d’Ulu Watu)
qu’elle peut nous rendre fou d’amour
(sous les étoiles à Loudun, sur un bateau en Méditerranée)
mais que tout ça n’est plus
ne peut plus être
tant qu’on sera dans le trou noir
tant que les lois de la physiques détruiront tout sur leur passage
et que tout ce qui vient de l’extérieur se crashera sur notre horizon de non retour.

La [mot qu’on ne prononce pas]
ce n’est pas un long tunnel sans fin
tout comme un trou noir n’est, finalement, pas un trou
c’est un mur
épais
dense
qu’on ne peut pas bouger
mais au-delà duquel on entend
sent
devine
les particules d’envies dont on aurait besoin pour sortir de là.

Mais depuis quelques jours
(à moins qu’il ne s’agisse d’un millénaire ?)
j’ai réussi à attraper quelques sensations
une lumière
un accord de musique
des instantanés d’un bonheur qui n’est peut-être pas si loin

le soleil qui tombe entre les branches des arbres, sur la main de Nyamuk, tenant une poignée de cerises qu’il dépose entre mes bras

la mer froide du matin qui défroisse et rend les idées claires

le vin, et ceux qui le partagent

du ceviche frais sous les arbres

un sourire qui fait grimper un frisson le long de ma colonne vertébrale

et l’horizon
un autre horizon cette fois
l’horizon du bateau
un horizon calme, dont on n’attend rien
un à-venir plat
sans drame
instantané
qui ne fait pas peur, lui
qui ne déchiquette pas, lui
Et puis la mer
la mer
la mer
et ce carré d’eau entre les arbres
qui scintille sous la lune
cet instant-là
une suspension
où le tourbillon s’arrête
le temps d’une seconde
d’une respiration
il n’y a plus que moi
le silence
et moi
face au carré mer-lune
et cette question, toute aussi obsédante
« Pourquoi personne ne le voit ? »


lundi 23 juin 2014

21.06.2014 : Archive - la fête de la musique 2012

A l'occasion de la fête de la musique, j'ai retrouvé des archives vidéo inédites de notre groupe qui sera connu comme groupe vintage au XXIIème siècle : Me & My Shark.  



dimanche 2 février 2014

08.01.2014 : Le texte que je n'ai pas écrit - ou mes derniers mois à Lund.



Je n’avais plus envie d’écrire. Ou plutôt, je ne trouvais pas le temps d’écrire. A la fin de l’été, alors que la date de mon retour en France devenait une évidence, alors qu’elle avait été validée et que je comptais les semaines jusqu’à ce qu’elle arrive, le temps m’a échappé. Il s’est mis comme en travers de mon chemin, comme deux gros phares de voiture que je regardais tétanisée au milieu de la route. Un truc tout à la fois inévitable, fascinant et terriblement effrayant. La fin d’une histoire me tombait sur la gueule et j’étais incapable de trouver les mots ou de réagir pour raconter cette fin. Et je dois l’avouer : je n’ai jamais, jamais été capable de terminer une histoire.

Durant cette période, je prenais chaque jour le bus de Ringhornegränden au Sodertull Vardcentral en pensant avec nostalgie qu’il s’agissait d’un de mes derniers trajets. J’accrochais mes yeux à toutes les briques de Botulfplatsen et je passais mon temps à vouloir goûter chaque dernières secondes passées à tel ou tel endroit. Sauf que ces dernières secondes ont duré trois mois et que je n’ai fait qu’attendre avec frayeur et en silence qu’arrive la dernière pendant tout ce temps.

Pourtant, j’avais des choses à raconter. Un long texte sur mes histoires avec l’Histoire m’a longtemps trotté dans la tête. Il m’est venu alors que je visitais le château de Kronborg– prétendument le château de Hamlet – à Helsingor au Danemark avec mes parents. Ce château est célèbre pour sa position stratégique sur l’Oresund – l’étroit bras de mer qui sépare la Suède du Danemark. Il a été le tableau de nombreuses batailles qui ont façonnée  l’histoire de l’Europe du Nord, car qui contrôlait l’Oreseund contrôlait l’entrée sur la mer baltique, et tout ce qu’elle permettait en terme de commerce.



* Arrivée à Helsingor par le bateau de Helsingborg *

L’atmosphère du site aujourd’hui est particulière, les Danois n’ayant peut-être pas autant à cœur de créer une sorte d’atmosphère historique reconstituée– qui vire parfois au kitsch – dans leurs vestiges : ici, pas de fausses tavernes pour recréer un faux Moyen Age. Les cafés modernes et les boutiques de petits créateurs ont leur place autour des douves du château. Mais si les installations interactives disséminées dans les appartements vides en pierre de cet édifice du XVIème siècle ne m’ont pas particulièrement émue, la gigantesque salle de bal avec ses tentures sombres, et plus encore les longues galeries creusées sous le château pour y mettre l’armée en cas d’attaque, ont, elles, beaucoup titillé mon imagination. Je me suis souvenue comme je visitais passionnément les châteaux de la Loire avec mes parents quand j’étais enfant, et comme je m’inventais des histoires formidables dont j’étais l’héroïne en traversant ces pièces qui me propulsaient directement dans d’autres existences. Et ca, ca faisait bien longtemps que je ne l’avais pas fait.

La semaine suivante, je suis allée visiter un village viking avec Laure, à quelques kilomètres de Malmö. Ici, des gens s’emploient à reconstituer la vie telle qu’elle était vécue à l’époque des vikings. Nous y avons rencontré Pär, viking professionnel depuis vingt ans. Pär nous a raconté les légendes d’Odin, de Thor, de Fray et de Loki, les dieux vikings. Il nous a expliqué comment les vikings ont accepté les nouveaux dieux sans pour autant renier les anciens - tout du moins dans « son » village. Mais il nous a surtout parlé de sa vie de viking au XXIème siècle. Comme beaucoup d’autres, Pär habite la plupart du temps dans des villages vikings reconstitués et vit selon les codes de l’époque. Certains le font comme un hobby, quelques semaines par an. Ce jour-là, par exemple, un Allemand était arrivé pour passer quelques jours dans ce village précis. Dans sa vie viking, il était boulanger, et le pain qu’il faisait était merveilleux.

Mais pour Pär, être un viking est un travail à temps plein. Il participe parfois à des tournois, et exhibe ses tatouages eux aussi faits à l’ancienne, avec une aiguille que l’on plante sous la peau point par point pour créer de gigantesques motifs.



 * Pär, viking professionnel *

Pär, quelque part, vit la vie dont je rêvais étant petite.  Ma plus grande frustration alors était de ne pas pouvoir totalement vivre les histoires que j’inventais. Même si je pouvais rester des heures entières seule avec elles à l’intérieur de ma tête, ne voyant même plus le monde autour de moi, toujours la réalité trouvait le moyen de s’infiltrer et de tout détruire. Pär, lui, avait réussi à faire vivre son imaginaire dans le réel (sans pour autant être fou).

Toutes ces histoires avec l’Histoire me restaient donc en tête, et j’ai finalement conclu ce long texte que je n’ai pas écrit quelques semaines plus tard, en Italie. Je suis partie pour mon travail passer quelques jours à OZU, une ancienne fabrique de bonbons transformée en centre culturel et lieu de résidence pour artistes à Monteleone Sabino, un petit village perdu au milieu des montagnes Sabines. L’endroit était magnifique, et l’équipe qui gérait le lieu nous a accueillis comme des rois et des reines. Chaque jour, on nous servait des plats cuisinés avec des ingrédients qu’ils produisaient eux-mêmes. J’ai encore dans la bouche le goût des bruschetta aux truffes qu’une jeune fille du village avait trouvées le matin en promenant son chien dans la forêt. Cette semaine ne fut qu’une succession d’enchantements, de la soirée passée à apprendre à faire des pâtes fraiches avec les mamma du village, à la dégustation d’huile d’olive, jusqu’à la baignade dans un lac artificiel au cœur des montagnes. Dans ce lac, aucune des personnes vivant dans le coin ne vient s’y baigner. Il a été crée par Mussolini, qui voulait construire un barrage à cet endroit, et a pour cela fait inonder la vallée et les villages qui s’y trouvaient. Au fond de ce lac, il y a encore des maisons, des églises, et la mémoire de ceux qui y habitaient : trop de mauvais souvenirs qui font fuir ceux qui vivent dans la région. Et c’est ainsi partout : chaque pierre, chaque rue, chaque champ renferme une histoire, exhale un parfum qui mêle tout à la fois le passé et la légende.



* Un banquet à OZU *

En déambulant dans ces paysages chargés d’images et d’imaginaire, je me suis à nouveau prêtée au jeu auquel je jouais étant petite. Les habitudes sont revenues. Et cette même semaine – coïncidence ou clin d’œil du destin ? – lors d’un atelier, on nous a demandé d‘écrire ce que nous voulions faire quand nous étions enfant, et ce dans quoi nous aimerions investir plus de temps aujourd’hui. Ma réponse fut la même aux deux questions : raconter des histoires.

Et pourtant, ce long texte plein d’histoires auquel j’ai pensé pendant trois mois, je ne l’ai pas écrit. Je n’ai pas commencé d’autres histoires non plus. Je suis restée dans un entre-deux et j’ai lentement laissé se consumer fin 2013. Et puis, le mercredi 18 décembre, j’ai fermé la porte de mon appartement à Lund. Et l’émotion n’a pas été aussi violente que celle que j’avais imaginée. J’ai tourné la clef et mis un point final à un an et demi de vie à Lund. Je suis montée dans la voiture où Nyamuk m’attendait et voilà. Comme ca, nous avons quitté la Suède. La fin que je redoutais tant est arrivée et je crois que je vais pouvoir à nouveau écrire. A commencer par ce texte que je n’ai pas écrit.