dimanche 16 décembre 2012

10.12.2012: L'hiver en Suède


*Nyamuk de neige* 



*Les élans de Slottskogen à Göteborg : à la fin de l'année, les cornes des élans tombent avant de repousser l'année suivante (ou bien les soigneurs les ont coupées pour ceux-là, on n'est pas sûrs.)* 



*Les poneys de Slottskogen*



*Et les pingouins de Slottskogen*



*Sur mon balcon à Lund : construction d'un morse de neige avec Nyamuk *



*A Malmö : la mer a gelé*

dimanche 9 décembre 2012

08.12.2012 : Voyage voyage.


 *Entre Lund et Göteborg*


Cette fois, Noël est bien installé en Suède. Ca a pris du temps, mais les lumières dorées sont maintenant allumées dans toute la ville. Il y a des sapins, et surtout de la neige. Elle s’est mise à tomber il y a une semaine. Intensément, sans s’arrêter, une pluie continue de boules de coton qui ont formé un épais tapis blanc, partout autour de nous.

Timing parfait : c’était justement le week-end pendant lequel Nyamuk et moi avions prévu d’aller à Göteborg. J’ai rêvé des marchés de Noël de Göteborg quand j’ai commencé à rêver de la Suède, je crois. Le plus grand marché de Noël de Suède. Le plus beau d’Europe. Mes attentes étaient élevées.

Jusqu’à présent,  ma référence en matière de marchés de Noël restait Strasbourg. Il y a quelques années, j’y allais souvent, tous les ans, pour déambuler entre les stands remplis de babioles plus ou moins kitsch, en mangeant des flammenküche sur des baguettes avec un verre de vin chaud, me gavant au passage de bredele et de chants traditionnels. J’attendais toujours cette période avec impatience et j’aurais pu y rester des journées entières, malgré le froid, même après en avoir fait trente fois le tour.

Nous sommes partis très tôt le samedi matin. Je voulais arriver le plus rapidement possible. Idée qui paraissait terrible la veille au soir en réglant le réveil à 5h45, mais merveilleuse finalement. Nous avons pris le bus pour aller à Göteborg, quatre heures de route accompagnées par le lent lever du soleil sur la neige fraiche. Ce voyage m’a rappelé l’excitation de mon périple en bus dans le Golden Circle en plein hiver islandais. J’ai encore en tête les images de la lumière de jour qui semble avoir du mal à se sortir du lit, qui s’étire, se remet sous la couette, et donne l’impression d’abandonner pour trainasser sous les draps plutôt que de complètement se lever. Il y a des couleurs vraiment particulières, ici, au lever du soleil. On dirait un crépuscule inversé. Un entre deux difficile à décrire mais qui m’émerveille à chaque fois. Autant dire que malgré le peu d’heures de sommeil de la semaine, je n’ai quasiment pas fermé l’œil du voyage. J’étais trop occupée à coller mon nez à la fenêtre en écoutant des chansons des années 60 (et à prendre des photos à mettre sur Instagram).



*Marché de Noël de Liseberg *

Les marchés de Noël ont finalement été un peu décevants – mais il faut avouer que la barre était placée haut avec ceux de Strasbourg. Nous en avons visité deux dans le centre, mais le meilleur était celui de Haga, un quartier fait de petites rues pavées pleines de cafés cosy. L’attraction touristique de Göteborg,  sans doute, mais comme je disais à une cousine il n’y a pas si longtemps, il faut relativiser ce qu’on appelle « touristique » en Suède… qui n’atteint jamais le niveau de ce qu’on peut connaitre en France. Dans une des rues, des stands avaient été installés, avec ce qu’on trouve habituellement sur les marchés de Noël, sans vin chaud ni flammenküche mais avec des empanadas… allez comprendre. Le lendemain, nous sommes allés à Liseberg, le parc d’attraction au cœur de la ville, également habillé aux couleurs de Noël. Là aussi, l’allée avec les stands était finalement petite, mais il y avait suffisamment de cafés et de restaurant pour nous réfugier quand nos mains étaient trop glacées, et nous gaver de gâteaux à la pomme, à la cannelle, et de chocolat chaud.



* Pause chaleur dans un café de Liseberg *

Finalement, ce qui nous aura le plus marqués à Göteborg, ce sera peut-être tout ce qui n’était pas suédois !

Nous sommes allés à l’Universeum, un musée qui abrite notamment une immense serre tropicale et de grands aquariums remplis d’une multitude de poissons, y compris des requins. Nous sommes restées des heures à nous balader dans la chaleur moite de cet endroit, à regarder les singes et les perroquets en liberté dans la serre tropicale, à frissonner devant les requins et les cobras (qui n’étaient pas en liberté, eux) et à nous rappeler nos souvenirs d’Indonésie et de la Monkey Forest, avec ses singes qui piquaient nos affaires pour les refourguer à des gardes qui font payer les touristes pour récupérer ce qu’on leur a volé. En plus des animaux, j’ai admiré dans cet endroit la discipline des visiteurs. Il n’y avait personne pour assurer la sécurité (où alors, ils étaient cachés dans les plantes), mais je n’ai pas vu une seule main se tendre pour caresser les plumes des flamands roses ou essayer de toucher les singes minuscules qui vivaient leur vie à 10 cm de nous. 


* Les occupants de l'Universeum *

Le soir, nous avons mangé dans un restaurant thaïlandais sur lequel j’avais littéralement flashé en passant devant : le Moon. L’intérieur était entièrement décoré de plantes tropicales et de lampions de toutes les couleurs. Il ne manquait plus que le sable et nous étions de nouveau à Padangbaï, à l’est de Bali, dans ce petit restaurant à côté de l’hôtel que nous avions loué, et dans lequel un Américain s’efforçait d’animer la soirée en grattant sur une guitare désaccordée pour accompagner sa voix tout aussi juste que les notes qu’il sortait de son instrument. Cette fois, nous étions en Suède, il faisait -10°C dehors, et je buvais le premier mojito depuis mon arrivée ici. Nous avons reparlé de nos voyages. De la vie ici. De la vie là-bas. Nous avons rêvé un peu en dévorant nos assiettes.

Je me souviens. Lorsque j’ai commencé à écrire dans mes carnets qui me suivent partout, j’ai tout de suite pris l’habitude de toujours noter le lieu, la ville et le pays dans lequel je me trouvais. J’avais une dizaine d’années, et c’était un peu déprimant d’écrire à chaque fois « Issy les Moulineaux, France », ou « Le Theil, Basse Normandie, France ». En fait, non, ce n’était pas déprimant parce que je ne rêvais pas spécialement de voyager à cette époque. J’avais l’esprit plus occupé par Leonardo DiCaprio et David Boreanaz. Mais c’était comme si je sentais que cette envie viendrait un jour. Chaque fois que j’allais dans un endroit différent, pour les vacances par exemple, je me forçais à écrire un texte, juste pour pouvoir noter fièrement un autre nom de ville. Comme une collection. C’est ça : j’ai commencé à collectionner les noms de lieux avant d’avoir envie de voyager.

Je ne sais pas exactement quand cette envie là est née. Peut-être au Danemark, dans cette école de musique dans laquelle je suis restée trois jours mais qui aura fait basculer beaucoup de choses dans ma vie. Ou en Islande, quelques mois plus tard, en regardant cette lumière paresseuse qui ne s’élevait jamais au-delà du doré sur les mottes de neige.  Cette lumière que j’ai retrouvée entre Lund et Göteborg et qui chaque fois me tire par la main pour me donner envie d’aller plus loin.



*Mojito on the Moon *

lundi 19 novembre 2012

19.11.2012 : Indonésie - Scandinavie




*Nusa Cenningan, Février 2012*



Je crois que je n’ai jamais réussi à bien parler de l’Indonésie.

Quand je suis rentrée en France après ces deux mois passés là-bas, je ne savais pas quoi raconter. La première chose que je décrivais, c’était cette incroyable excursion sur Nusa Penida, une petite île au large de Bali, entièrement préservée du tourisme qui recouvre sa grande sœur. J’ai souvent parlé de ce temple creusé dans la montagne même, et auquel on accédait en rampant dans un boyau rocheux, cette magnifique cathédrale de pierre dans laquelle un prêtre nous a accueillis et fait pour nous la célébration en partie en anglais. J’ai souvent raconté ces escaliers en fer fixés à flanc de falaise qui nous ont menés à une piscine naturelle, formée à une cinquantaine de mètres au dessus de la surface de la mer. J’ai parlé de l’ascension du mont Kinabalu en Malaisie, et du lever du soleil à 4 000 mètres d’altitude, après une marche éreintante éclairée à la lampe frontale. J’ai parlé de mon baptême de plongée à Bornéo, des spectacles de Kecak au crépuscule dans le temple d’Ulu Watu qui surplombe l’océan.

Mais en racontant tout ça, je n’ai rien raconté. En disant le spectaculaire, j’ai finalement manqué tout ce qui m’est resté de ce pays.

Je pense parfois aux nombreuses images que j’ai ramenées de ce voyage, et je suis toujours très émue quand elles me reviennent en tête. Je me souviens notamment très précisément de ce moment où, assise à l’arrière du scooter de Nyamuk, j’ai compris que je ne pourrai pas parler de l’Indonésie.

Nous traversions un village près de Sanur. Je regardais, je humais l’air, et je me suis soudain rendue compte que j’étais incapable de décrire ce que je voyais et ce que je sentais. Il n’y avait que des couleurs que je ne connaissais pas et des odeurs nouvelles. Je ne peux pas parler de l’Indonésie parce que je n’ai pas les mots pour le faire. Il me faudrait un nouveau champ lexical. C'était comme ouvrir les yeux pour la première fois. Je me sentais à la fois émerveillée et démunie. 

Hier soir, nous avons fait une soirée asiatique à la maison. J’ai cuisiné un plat plus ou moins inventé par mes soins et mis de la musique indonésienne. Et puis, nous avons sorti l’huile de jasmin. Ce parfum me rend folle : c’est la première odeur identifiée de ce voyage. Je venais de retrouver Nyamuk déjà bronzé et beau comme un dieu, et il m’avait conduite à la Taverna, un magnifique hôtel en bord de mer. Il y avait des fleurs de jasmin partout, sur le sol, dans les arbres et dans nos narines, et le gel douche avait aussi la même senteur. Quand j’ouvre cette bouteille d’huile de jasmin, la fraîcheur de notre maison sort du flacon, et avec elle, l’incroyable goût de l’ananas au petit déjeuner, les offrandes piétinées qui pourrissent sur les trottoirs, les apéros Bintang sur la plage, les fleurs coupées tenues entre les mains pendant la prière, le jaune, l’orange, le rouge, le vert, le bleu de l’eau de Nusa Lembogan, et puis le rose et or de cette même eau quand le soleil se couche. Les choses qui me sont restées, ce sont l'atmosphère et les détails au quotidien qui ont reconstruit un monde entièrement nouveau, merveilleux et déroutant - au premier degré. Il y a eu tellement d’odeurs, tellement d’images nouvelles que j’en ai fait une overdose. Au bout de quelques temps, le parfum du jasmin est devenu capiteux, et je me revois dire à Nyamuk : « Je ne me sens pas dans mon clan. »


*Nusa Penida, Février 2012*

Il y a eu des moments où je me suis sentie mal en Indonésie. Mais je n’arrive pas à savoir si c’est à cause du pays, ou parce que je savais que je ne pouvais pas rester – parce que mes études, parce que la Suède - et que je m'en voulais de ne pas pouvoir prolonger cette expérience.  Au bout du compte je ne garde en fait que le souvenir d'une ribambelles d'émotions fortes qui font paraître un peu pâle ce que j'ai vécu en déménageant à Lund. Et hier soir, les doigts plein de jasmin et les yeux rivés sur la flamme de la bougie, j’ai dit à Nyamuk que je regrettais de ne pas y être allée avec mon état d’esprit actuel. Que j’aimerais bien une deuxième chance.

Et puis ce matin, par jalousie peut-être, la Suède avait sorti ses plus beaux habits. Le soleil brillait sur un ciel bleu glacé et le paysage était recouvert de givre. J’ai écouté Ephemera – et j’en ai conclu que c’était quand même bien d'être ici aussi. 


*Lund, Novembre 2012*

lundi 12 novembre 2012

12.11.2012 : Le jour où un chauffeur de taxi détrôna Mark Lanegan.




*Un ange est apparu dans un renversement de bière, oui oui.*

Ce week-end fut un week-end de concerts. La programmation à Mejeriet est plutôt alléchante en ce mois de novembre. Il faut dire que le lieu a toujours baigné dans la musique et a un long passif de découverte de nouveaux talents.

Mejeriet est en fait une ancienne laiterie. Suite à la fin de cette activité, un long combat politique s’est engagé à Lund pour reconvertir l’endroit en un lieu culturel. La municipalité a d’abord donné son accord aux initiateurs du projet – mais les choses ont trainé, jusqu’à ce qu’un politicien plus conservateur s’oppose officiellement à la création du centre artistique. Le Kulturmejeriet n’ouvrira finalement ses portes qu’en 1987 (l’année de ma naissance !), grâce au don d’une fondation privée, la Crafoord Foundation. Au départ, trois associations de musique se sont partagés les 2200 m² que représente l’ensemble des bâtiments. Aujourd’hui encore, de nombreux concerts sont organisés, ainsi que les brunchs jazz le dimanche, et des cours de piano, de guitare, de batterie,… Des studios de répétition sont aussi à disposition des groupes amateurs ou professionnels et lorsqu’on se promène dans les couloirs de Mejeriet, les murs sont remplis de posters de groupes que j’aurais rêvé de voir dans un tel lieu : Miles Davis, Massive Attack, Radiohead, The Stone Roses, Oasis, Iggy Pop,…

Je n’avais pas encore vu de concert ici – et lorsque je me suis aperçue que Mark Lanegan jouait à l‘endroit même où je travaille, j’ai sauté au plafond. Mark Lanegan, je dois l’avoir vu cinq ou six fois en concert. Je suis à chaque fois envoûtée par sa voix mais aussi sa carrure, son charisme. Quand il se tient sur scène, presque immobile, avec de grandes ombres noires à la place des yeux, zébré de lumière rouge, j’ai comme l’impression d’être aspirée par une sorte de vortex. Et ce soir-là, encore, ça n’a pas loupé. J’ai rapidement oublié que la foule était beaucoup moins chaleureuse que d’habitude, ou que j’étais épuisée par une semaine en montagnes russes. J’étais simplement enveloppée dans sa voix.

Je suis sortie du concert avec un sourire gravé dans le cerveau plus que sur le visage et ai continué à écouter ses albums dans le bus qui me ramenait à la maison.

Et pourtant, le lendemain, Mark Lanegan a été détrôné par un chauffeur de taxi.

Nyamuk est arrivé dimanche – enfin ! Nous sommes restés à Copenhague le soir pour assister à un autre concert à Amager Bio : Fear Factory et Devin Townsend Project. Bon, Fear Factory étaient mauvais, il faut le dire. Ce genre de moments un peu gênants où on se dit qu’ils auraient du arrêter de tourner il y a dix ans, quand ils étaient encore à peu près crédibles. D’une manière générale, ce n’est de toute façon pas mon genre de musique. Nous étions là essentiellement pour Nyamuk qui essaye de me convertir à Devin Townsend. Et même si j’ai apprécié son concert, sa folie, son côté déjanté et un peu taré, les morceaux ne sont pas assez mélodieux et cohérents pour réellement retenir mon attention. En revanche, je me souviendrai longtemps que Devin Townsend nous a permis de rentrer tard à Lund, et de rater les derniers bus pour rentrer chez nous.

Arrivés à la gare de Lund, chargés de valises, nous nous dirigeons donc vers la borne de taxi. Un chauffeur nous alpague, nous demande si nous avons besoin de lui. Oui, d’accord. Nous nous installons un peu dépités sur la banquette arrière en voyant devant nous de nombreuses images religieuses, un chapelet et même –je crois – une prière en suédois scotchée sur le volant. Nous roulons. Nous discutons un peu, les questions habituelles. Vous venez d’où ? Vous aimez la Suède ? Nous arrivons. Ca fait 300 kr. Vous prenez la carte ? Oui. Tenez. Et en récupérant ma carte bancaire, je vois sur le siège avant une guitare classique.

« Tiens, vous jouez de la guitare ? »

« Oui, je  suis un musicien sérieux mas je ne joue pas sérieusement, vous voyez ce que je veux dire ? Je joue parfois une chanson aux clients pour avoir un peu d’argent en plus. Je peux vous jouer une chanson, mais ce n’est pas la peine de me donner des sous en plus, votre course était déjà chère. »

« D’accord. »

David a pris sa guitare et s’est mis à jouer. 
Dans son taxi, au milieu de la nuit, coincé derrière le volant de sa voiture. 
Il s’est mis  jouer et à chanter une chanson aux accents légèrement espagnols, intense. 
Nous étions au milieu de la campagne, à deux heures du matin, et notre chauffeur de taxi nous a joué cette superbe chanson avec une fois à la fois douce et puissante. 
Je venais de retrouver Nyamuk après un mois de séparation, et notre chauffeur, derrière son volant, avec sa guitare classique, a transformé notre soirée en un film hollywoodien.

La chanson était superbe. Je ne savais pas trop si je devais rire ou pleurer, j’ai fait un peu les deux. C’était un petit cadeau, un véritable petit cadeau de la vie. Tout simple, mais d’une grande générosité.

Nous avons quitté David en le prenant dans nos bras, en notant son numéro de téléphone. Je ne sais pas si je remonterai un jour dans son taxi. Cet instant ressemblait presque à un rêve, une illusion. Mais il nous a rappelé que, décidément, la beauté peut se cacher dans des endroits où on l’attend le moins.  

dimanche 4 novembre 2012

03.11.2012 : Conte urbain





Je regarde l’adresse écrite au creux de ma main. Il n’est que 18h mais la nuit noire est déjà tombée sur la ville engourdie par le froid, et je dois approcher ma paume au plus près de mes yeux pour distinguer l’écriture maladroite. Je regarde autour de moi. Les rues sont désertes, silencieuses. Personne ne me voit et je ne vois personne. Je suis arrivée. Je vérifie encore le numéro sur le mur. Précaution inutile – je sais parfaitement où je suis. J’essaye simplement de gagner du temps. J’inspecte encore les alentours quelques secondes, et m’engouffre après une courte hésitation dans une cour pavée, cachée entre des recoins d’immeuble. Je reconnais l’endroit, je sais où est l’entrée : au fond, à gauche. J’avance doucement, sans bruit, et pousse la petite porte au dessus de laquelle a été accrochée une pancarte sans lumière. Il n’y a pas grand monde encore, à l’intérieur. Une femme, toute en noire, rouge à lèvre vif et cheveux blonds relevés en chignon me fait un signe de tête et reprend sa conversation avec le barman. Son visage est marqué. Je ne l’avais jamais vue ici, mais je comprends qu’elle n’est pas une cliente. En dehors d’elle, je suis la seule femme dans la pièce. Plusieurs hommes accompagnent mon entrée d’un regard interrogateur. Ils se demandent ce que je fais ici, seule. Je les ignore, relève légèrement le menton pour me donner une contenance, et m’avance sûre de moi vers une table, dans un coin, pour m’asseoir à un endroit depuis lequel je peux voir toute la salle et surveiller l’entrée sans que personne ne me dérange. Je lève une main aux ongles fraîchement peints en rouge et commande une bière. Et contemple sans sourire les premiers évènements de la soirée, pendant plus de quarante minutes.

Bref, je suis arrivée en avance à la soirée billard.  






dimanche 28 octobre 2012

28.10.2012 : Epices de Proust






Je ne me lasse décidément pas de cette saison. Jour après jour, les couleurs sont un peu moins vives, mais la lumière se fait de plus en plus dorée. Il fait maintenant un froid glacial, et les gelées du matin durent plus longtemps. Avec tout ça, je n’ai plus qu’une envie : rester à l’intérieur en buvant des boissons chaudes, enroulées dans un plaid, en écoutant mes playlists d’hiver.

Voilà ce que je recherche en ce moment : des ambiances cosy et confortables. Et en recherchant cela, je remonte petit à petit le temps. Je me rends compte que ce sont dans les souvenirs du passé que je retrouve le plus ces moments de chaleur. D’abord, je me suis remise à la cuisine. J’ai commencé par refaire des bredele, comme je faisais tous les hivers quand je vivais chez mes parents. Avec les ingrédients suédois et sans balance… ce qui a donné un résultat assez expérimental. Même résultat hier en faisant des beureks pour un dîner international pour lequel chaque personne avait amené des spécialités de son pays : fondue suisse, panade aux crevettes portugaise (Sandrine, si tu me lis, c’était le meilleur plat de la soirée !), galettes de pomme de terre allemande, quiche lorraine française, (sorte de) moussaka perse, gâteau au chocolat et crumble aux pommes suédois, coulis de fruit rouges danois etc. De quoi bien se péter le bide pour une soirée pleine de monde dans un corridor étudiant.



Mais surtout, depuis peu, je replonge dans l’adolescence avec Nadège. Il y a deux semaines, elle a déménagé dans une ancienne ferme au milieu d’un champ, une maison tout en bois, mansardée, dans laquelle on a envie de rester tout l’hiver. Je suis littéralement tombée amoureuse de cet endroit. Depuis, je vais de temps en temps chez elle pour des soirées filles comme je n’en avais pas faites depuis le collège. Echanges de point de vue sur les relations hommes femmes, un verre de rhum orange à la main, avant de passer au visionnage des films les plus girly possibles. Et notamment « Dirty Dancing » que je n’avais vu qu’une seule fois dans l’appartement d’une copine à Boulogne, à une époque où je me souviens vaguement qu’on se retrouvait chez elle pour chanter « Ti Amo » ou Kool & The Gang pendant la pause déjeuner – si mes souvenirs sont bons. J’ai vu ce film avec des yeux totalement différents cette fois : je crois qu’il m’avait paru niais à l’époque – je n’avais sans doute pas été très sensible au sous-texte. Cette fois, mon regard d’adulte m’a permis de retomber dans l’adolescence aux hormones sensibles. Plutôt paradoxal !

Et vendredi dernier,  enfin, je suis repartie encore plus loin en arrière, dans l’enfance. Birgitta avait organisé une « bird therapy » pour soigner ma peur des oiseaux. Elle nous a emmenés, Madis, Virginia et moi, près d’un grand lac proche de chez elle. Il y avait une tour pour observer les oiseaux, et aussi une grande passerelle qui traversait des hautes herbes laineuses pour atteindre l’eau. Cachée dans les cabanes en bois, j’étais complètement fascinée par la vue à travers les jumelles. J’ai eu, évidemment, une pensée pour Vicken, en me disant qu’il faudrait absolument l’emmener ici quand il viendra me rendre visite.

Après cette petite expédition au bord de l’eau, retour dans la foret où nous avons fait cuire des saucisses sur un feu de bois en buvant du chocolat chaud. Il faisait un soleil magnifique – et je me revoyais dans le champ normand de ma grand-mère autour du feu que l’on faisait au milieu de la nuit avec mes frères. Ces moments m’ont manqués – ces moments me manquent. J’ai englouti ma saucisse végétarienne pour ravaler mon émotion.


Nous sommes allés passer la fin de la journée chez Birgitta. Depuis près de cinq ans, elle est installée avec son ami dans cette ancienne ferme de 200 m² qu’ils retapent petit à petit. L’endroit est superbe. De grandes baies vitrées au rez-de-chaussée et sous les toits font rentrer la lumière blanche de la campagne. Dans le salon, nous avons allumé un feu de cheminée, ouvert une bouteille de vin et joué du piano en chantant des chansons sud-américaines (et Joe Dassin). Le soir, Birgitta avait préparé une bouillabaisse (sans moules) pour me faire goûter le plus français des plats français (selon les Suédois, apparemment) mais que je n’avais jamais mangé. J’avais l’impression d’être dans un petit cocon suspendu dans le froid. 

Après cette journée, j’ai évidemment dit à Nyamuk que quand nous serions plus vieux, nous achèterions nous aussi une ferme à retaper pour y ouvrir un bed and breakfast et héberger nos huskies. Je ne suis pas sure qu’il soit 100% motivé pour l’instant, mais nous avons encore quelques années devant nous pour le convaincre.

Voilà mon automne suédois : je retrouve des saveurs que je n’avais pas goûtées depuis longtemps et qui m’avaient manquées, les épices de ces moments pendant lesquels je me suis réellement sentie à ma place. Et je commence à construire en pensée mon avenir en les incluant, cette fois, parce que je vois maintenant que je me sens à vif quand elles ne sont plus là.


dimanche 14 octobre 2012

14.10.2012 : Fêtes et traditions


En partant en Suède, on ne peut pas dire que je sois partie dans un pays culturellement très dépaysant. Et pourtant ! Depuis le mois de juin, j’ai déjà pu expérimenter quelques petites traditions bien de chez eux. Il y a eu Midsommar, bien sur, deux semaines après mon arrivée, mais aussi…

Kräftskiva




Une autre tradition expérimentée au mois d’août : à la fin de l’été, les Suédois font des « fêtes de l’écrevisse ».  Pendant longtemps, la pêche de l’écrevisse était limitée à cette période de l’année – d’où cette tradition, en août  d’organiser de grands repas pour se gaver de fruits de mer, avec des toasts au beurre et – surtout – du schnaps. Kristoffer – un Suédois rencontré cet été et qui étudie à Lund – nous a invités dans son corridor pour nous faire découvrir cette fête. Il avait concocté pour chacun des chapeaux en papier journal et avait préparé des chansons en suédois. Nous étions donc tous attablés avec nos magnifiques couvre chefs, les paroles dans une main, le verre de schnaps dans l’autre, et une montagne d’écrevisses devant nous. Beaucoup de ces chansons avaient en fait la meme musique que certains chants français. « Mon beau sapin », par exemple, est devenu « Nu tar vi dem » (« à notre santé », en gros), et c’était la seule chanson à peu près simple que nous avons pu chanter  en tant que non Suédois !

Une fête chaleureuse et des écrevisses absolument divines : j’ai hâte de découvrir les autres fêtes suédoises !



Kallbadhus




* Descente en enfer *


Un peu partout dans le pays on peut trouver des kallbadhus, littéralement des « bains froids ». Ce sont les fameux saunas sur la mer, qui permettent de sauter directement dans l’eau gelée après avoir mariné pendant une dizaine de minutes dans les petites maisons en bois. Pour la petite histoire, l’ « invention » du sauna remonterait à la préhistoire, sous la forme de huttes de sudation utilisées par certains peuples de l’hémisphère nord. Les utilisateurs des saunas mettent en avant ses bienfaits pour stimuler la circulation sanguine, purifier la peau, dégager les voies respiratoires et fortifier le système immunitaire. Selon moi, le plus grands des bienfaits reste ce moment de détente qu’on s’accorde en allant au sauna, et la convivialité qui y règne. Ce rituel prend du temps, un temps qu’on décide de s’accorder pour décrocher un peu. Et avec les kallbadhus, qui donnent directement sur la mer, l’évasion est garantie.

Dans les environs de Lund, on peut trouver des kallbadhus à Malmö et à Bjärred, là où j’étais allée avec Laure pendant l’été. J’ai décidé hier d’y retourner hier, d’une part pour la détente, mais aussi pour expérimenter réellement le saut dans l’eau froide après le quart d’heure de chaleur. J’ai donc retraversé la longue digue en bois qui mène jusqu’au kallbadhus et suis allée me réfugiée dans la cabane en bois surchauffée. Est ensuite venu le moment de plonger à poil dans la mer, sans vraiment savoir à quoi m’attendre. Le résultat n’était pas très… agréable. J’ai vaguement eu l’impression de faire un arrêt cardiaque et d’être en train de mourir. Je suis remontée le plus rapidement possible en essayant de ne pas vomir, et suis retournée dans le sauna. Bref, il faut apparemment avoir le cœur bien accroché pour cette expérience. La prochaine fois, je me mettrai juste un peu d’eau pour me rafraîchir, mais je ne tenterai plus l’immersion totale.
 
Pas de frustration cependant. La vue dans le sauna était magnifique. J’ai pu assister au coucher de soleil, assise sur mon petit banc en bois, avec en fond sonore les crépitements du poêle sur lequel sont posés les pierres à saunas – des pierres qui accumulent la chaleur sans éclater sous les hautes températures. Pour me rafraîchir en ressortant du sauna, je suis restée un moment assise sur un banc extérieur pour regarder le paysage. Et vraiment, le fait de pouvoir se balader nu en regardant le coucher de soleil, de sentir le vent sur sa peau, c’est un truc tout bête, mais le sentiment de liberté et de détente que ça procure est assez incroyable. Après ça, je me suis emmitouflée dans mon pull, mon bonnet et une couverture polaire pour boire un cappuccino en profitant des dernières minutes de soleil. Le ciel était d’un orange de feu et l’horizon complètement dégagé. J’ai guetté le rayon vert, en vain. Cette journée aura tout de même été magnifique.



Kanelbullens Dag 


J’étais malheureusement à Paris le 4 octobre, pour la journée du kanelbulle – les roulés à la cannelle. – et n’ai pas eu droit à mon gâteau fait maison. Mais je voulais quand même en parler. Ici, ils ont dont un jour spécial pour cuisiner une pâtisserie, et l’occasion d’en cuisiner par kilos. Quelle bande de hippies.




* En partant du kallbadhus *

mercredi 10 octobre 2012

10.10.2012 : En automne, les pages blanches tombent des arbres.




Je suis rentrée en Suède il y a quelques jours, après une semaine à Paris. Ici, l’automne est arrivé et je me demande s’il existe une saison dans ce pays pendant laquelle la nature n’est pas superbe. Les arbres sont devenus rouge pétant, il pleut en même temps que le soleil et je contemple tous les jours des arcs en ciel sous le vent glacial. On se croirait en hiver, presque déjà, mais il y a des couleurs partout. Quand Nyamuk est venu en septembre, nous avons déjà pu largement profiter de cette peinture grandeur nature. D’abord pendant un week-end à l’est de la Scanie, à Kivik. Nous étions déjà allés à Simrishamn pendant l’été, le port d’à côté, entouré de gigantesques plages de sable blanc. Nous avions mangé des glaces en regardant des goélands XXL se livrer à de véritables combats de catch pour quelques miettes jetées par la foule amassée sur les bords de mer. Cette fois, Simrishamn était vide, et nous avons dormi dans une maison d’hôte à quelques kilomètres du centre ville de Kivik,  à l’entrée du parc national de Stenshuvud. Les propriétaires avaient vraisemblablement retapé cette ferme dans laquelle les poules servent de comité d’accueil, et la femme vendait ses céramiques dans une petite boutique à côté de notre chambre. Partout autour de nous, le paysage avait été verni par la pluie. Nous avons passé deux jours à crapahuter dans la forêt du parc national, qui grimpe le long d’une falaise pour s’arrêter face à une superbe vue sur la mer. Avec la brume, on se serait cru dans un conte celte, ou sur le tournage d’un film prenant le Moyen Age pour décors,  et lorsque nous sommes tombés sur un labyrinthe construit avec des petits cailloux, notre imagination a débordé.  Il y avait aussi des animaux bizarres, baptisés par nous-mêmes des « pandaches » - un mix entre un panda et une vache – mais qui étaient en vérité des vaches de race Shetland. Je garde de ce week-end le souvenir du calme et puis de la chaleur – pas à l’extérieur, mais vous voyez.



La semaine d’après avait lieu le meeting de Trans Europe Halles à Göteborg, sur lequel j’ai travaillé depuis que je suis arrivée ici. Un grand moment, et une longue semaine, épuisante. Nous accueillions une centaine de personnes venues de toute l’Europe, sur la thématique des actions « Bottom up » - ou comment partir des citoyens pour influer sur la société et les politiques. Pendant ce meeting, entre Röda Sten et Konstepidemin, je pense avoir occupé une bonne vingtaine de postes différents, parfois totalement improbables. J’ai commencé plutôt normalement à l’accueil, l’enregistrement, ai fait de la comptabilité, de la décoration dans les salles, j’ai remplacé une photographe, ai été appelée pour aider un technicien avec l’ordinateur, j’ai pris des notes pendant des débats, assisté aux assemblées générales, et ai fini comme grand final à faire la sécurité incendie sur un spectacle de circassiens qui jouaient avec le feu. Cette semaine est passé comme un grand tourbillon qui s’est achevé sur le partage d’une bouteille de champagne « backstage » avec deux autres jeunes filles prises dans la même frénésie. Et puis, le lendemain, nous sommes partis visiter un autre centre : Not Quite, à Fengersfors. Il y avait plus de deux heures de route depuis Göteborg, un chemin magnifique qui longeait les grands lacs au centre de la Suède, et me faisait découvrir de nouveaux paysages. Arrivés à destination, nous avons découvert l’ancienne usine de papier recouverte de feuilles d’un rouge sang qui recouvraient les murs. L’endroit était magnifique. Nous avons mangé dans le restaurant avant de partir pour la visite du lieu. Karl, notre guide, nous a fait découvrir les moindres recoins de ce lieu passionnant. Dans une grande salle froide, il s’est soudain arrêté pour nous faire partager son « rituel ». Après une minute de silence, il s’est soudain jeté par terre et s’est coulé dans une demie silhouette forgée dans un métal lourd, et qui prenait la forme d’un mégaphone au niveau du visage. Allongé dans la poussière, Karl s’est mis à chanter à travers cette armure. Il se relevait et vacillait sous le poids du métal, mais continuer à chanter, et à diriger vers nous son mégaphone en tournant sur lui-même. Cette performance était d’une force presque dramatique. Voir cet homme tenter de se lever, et retomber toujours, sans que sa voix ne cesse avait quelque chose de profondément émouvant.


La visite s’est terminée par un atelier de forge, pendant lequel j’ai pu pour la première fois de ma vie apprendre à forger du fer. Je ne suis vraisemblablement pas douée pour ça, puisque le résultat de mon œuvre était… inattendu. Mais je rajoute une ligne dans la liste de mes expérimentations manuelles.

Car ces derniers temps, j’ai beaucoup créé avec mes mains. Mon été ayant été en grande partie consacré à l’écriture de mon mémoire, j’ai fini par atteindre une overdose, et n’ai plus eu envie de formuler une seule idée, ou utiliser mon cerveau pour quoi que ce soit. J’ai donc décidé de me mettre à des activités manuelles – chose que je crois bien n’avoir jamais faite en dehors des travaux pratiques à l’école, à part un pompon, une fois, quand j’avais neuf ans. J’ai peins, j’ai découpé du papier, du carton, collé le tout ensemble, mis du vernis, et entamé d’autres projets à plus long terme qui feront l’objet d’une surprise. Très honnêtement, je ne suis pas douée pour ça. Une enfant de quatre ans ferait pareil ou mieux. Mais ces activités m’ont salutairement vidé la tête, et c’est exactement ce dont j’avais besoin.

Et puis, la semaine dernière, je suis rentrée en France pour passer ma soutenance et mettre un terme – enfin ! – à mon cursus universitaire. Et j’ai réalisé que mes deux projets qui prenaient toute mon attention ces dernières années (finir mes études et partir en Suède) se sont réalisés quasiment en même temps.

Je suis revenu à Lund et maintenant, le froid est là, mordant. La lumière baisse et l’hiver s’installe peu à peu. Je sens l’envie de me recroqueviller, de rester en tête à tête avec les histoires que je m’invente en écoutant des chansons chaudes. Alors je me remets à traîner dans les cafés pour boire des boissons brûlantes en regardant les gens. Et j’ai envie de me remettre à écrire. J’ai dit à Nyamuk en finissant la fac : J’ai fini mon chapitre ; maintenant, la page est blanche. La page est blanche, donc, et elle est tout aussi excitante qu’angoissante. Elle signifie la possibilité d’écrire une nouvelle histoire, de découvrir de nouvelles intrigues ; mais elle veut dire aussi que je ne sais pas ce qui va se passer, et qu’elle peut rester comme ça, sans rien dessus. La seule certitude que j’ai sur ce nouveau chapitre, c’est que cette fois je ne l’écrirai pas seule.

Je me suis demandée pendant un moment ce que j’allais pouvoir faire de ces journées de travail qui finissent tôt. Et j’ai trouvé : c’est peut-être l’occasion de prendre le temps de définir une nouvelle trame à notre aventure.

Alors je collectionne les pages tombées des arbres et utilise leur rouge comme encre pour écrire un nouveau roman.

mercredi 15 août 2012

15.08.2012 : S'éloigner




Voilà : j’écris maintenant depuis mon nouvel appartement dans lequel j’ai déménagé ce week-end. Pour rappel, il m’a fallu trouver un autre logement car il était très difficile d’héberger Nyamuk dans la Maison aux Deux Pommiers et ma petite chambre. Surtout s’il reste ici plusieurs mois… mais ça, ce sera un autre chapitre.

Je vis maintenant à dans l’est de Lund… à l’extrême est. Mais vraiment : lorsque je sors sur mon balcon, ce n’est plus la ville que je vois, mais les champs ! Marian a dormi pendant trois nuits ici et lorsqu’elle est descendue du bus, elle donnait l’impression d’avoir fait des milliers de kilomètres pour arriver jusqu’ici. En vrai, il n’y a que vingt minutes de bus pour atteindre le centre ville et en tant que Parisienne, je dois dire que ça ne m’a pas choquée. Mais ici, vingt minutes, c’est le bout du monde.

Moi, au contraire, je suis plus que ravie d’être ici. Déjà parce qu’avec les trajets en bus, je peux écouter ma musique en regardant le paysage et ça reste l’un des meilleurs moments de ma journée. J’avais vraiment l’impression de ne pas pouvoir faire de pause dans mon cerveau sans ces petits moments où je n’ai techniquement rien à faire si ce n’est imaginer tranquillement mes petites histoires en regardant la route. En plus de ça, sortir de la ville, c’était exactement ce que je voulais. M'éloigner pour prendre plus de temps, plus de douceur, et expérimenter un nouveau mode de vie. Hier, Marian m’a emmenée voir un « trésor » devant chez moi : des dizaines d’arbres croulant de prunes que nous avons ramassées par poignées. J’ai même maintenant cette espèce d’envie folle d’en faire de la confiture. Oui je sais, je suis complètement dingue. J’ai l’impression d’avoir des tonnes de trucs à découvrir et j’ai notamment de plus en plus envie de créer des choses avec mes mains. Je viens de peindre un truc là. Rien de bien exceptionnel, mais je crois que c’est la première fois que je me pose pour peindre un truc. Je vais peut-être finir en ermite ici – et je sais que cette idée va en faire sourire certains : ça devait sans doute être mon destin !

Je m’émerveille donc chaque jour un peu plus de cette nouvelle vie qui m’ouvre de plus en plus ses bras. L’appartement en lui-même est un petit paradis terrestre. 70 m² avec grande chambre, grande cuisine, immense salon qui donne sur le balcon et une salle de bain sans moisissures – ce qui me change de la Maison aux Deux Pommiers, quand même. Sans oublier tous les équipements qui vont avec, y compris UNE CHAINE HI-FI avec des ENORMES ENCEINTES ! Après deux mois et demi de sevrage, je peux donc me remettre à écouter de la musique chez moi en faisant autre chose, sans être bloquée par le casque relié à l’ordinateur. En BO de ce texte, j’ai donc mis Grandaddy (qui passe la semaine prochaine en concert gratuit à Malmö, hiiii) en attendant que la peinture sèche. Tout serait absolument parfait si je ne gardais pas en tête le fait que j’ai un mémoire à finir cette semaine – seule épine dans le pied. Sans ça, je serai sans doute au bord de l’extase.

Je garderai quand même un petit souvenir nostalgique de la Maison aux Deux Pommiers. J’y ai passé ma dernière nuit vendredi en revenant de Malmö et on aurait dit qu'elle voulait me laisser un cadeau avant de partir. En rentrant, je suis allée dans le jardin dans lequel j’aurais sans doute davantage habité que dans ma chambre. Je me suis assise dans le siège en bois et j’ai regardé le ciel. Ca faisait longtemps, je crois, qu’il n’avait pas été aussi beau. Il n’y avait pas un seul nuage, la lune brillait tellement que j’ai cru que quelqu’un avait allumé un lampadaire dans le jardin. Et cette nuit là, il a plu des étoiles filantes. Je suis restée là-bas le temps d’écouter le premier album de Muse, et je pense en avoir vu pas loin de dix. C’était… magique.

Tout ça, ce déménagement et cette nuit des étoiles filantes m’ont mis du baume au cœur après une période qui n’a pas été si facile. J’ai énormément travaillé pour jongler entre mon travail et mon mémoire, au point de faire un burn out en bonne et due forme avec arrêt total de mon cerveau et les grandes eaux dans l'herbe du jardin. Ces dernières semaines ont aussi été pleines de visites qui m’ont remplies de joie mais m’ont aussi laissée avec un sacré vide quand tout le monde est parti. Nyamuk d’abord, resté avec moi dix jours – et malheureusement pas pendant la meilleure période de mon état moral. Puis Thibault, Rémi et Tania avec qui j’ai pu faire mon premier dîner aux chandelles dans le jardin de la Maison aux Deux Pommiers. Et enfin Lolo, Laure, mon Mulet avec Cédric, la semaine dernière, qui auront inauguré en même temps que moi cet appartement –pour lequel je n’ai pas encore de nom d’ailleurs. Avec eux, j’ai pu faire la chose la plus suédoise possible : aller au sauna sur la mer à Bjärred. Une petite construction en bois au bout d’une jetée et qui permet d’alterner la chaleur du sauna dans lequel on peut profiter de la vue sur l’horizon, avant de plonger complètement nu dans l’eau froide. C’était incroyablement relaxant et j’ai presque envie d’y retourner toutes les semaines et surtout, surtout cet hiver ! C’était aussi exactement ce dont j’avais besoin : un peu de cocooning, prendre soin de moi après ces quelques semaines un peu chaotiques. Le soir, en rentrant à l’appartement, Laure nous a cuisiné du renne avec des chanterelles et la bouteille de vin qui va bien. Je me suis installée dans mon vieux canapé pour y faire des mots croisés, et je me suis revue chez ma grand-mère en Normandie, quand ma seule préoccupation était de trouver quelque chose à faire.

Très bientôt – d’ici la fin de la semaine hopefully – trouver quelque chose à faire après mes journées de travail qui finissent à 16h30 sera sans doute à nouveau ma seule préoccupation. En attendant, j’essaye de faire attention, de ne pas trop me prendre pour Wonder Woman qui peut jongler avec toutes les taches en même temps sans jamais craquer, sans culpabiliser à l’idée de me poser sur mon canapé pour peindre un truc qui n’aura peut-être jamais aucune utilité.

Et d’ailleurs, il est l’heure pour moi d’aller regarder mon plafond en écoutant Grandaddy et d’imaginer de grandes histoires tragiques qui se dessinent sur le blanc des murs. 

lundi 16 juillet 2012

12.07.2012 : Learning by doing




Depuis que j’ai commencé à voyager un peu seule, je me suis rendue compte que ces quelques séjours étaient la source des plus grands apprentissages. Des trucs qui peuvent paraître très banales, et pour lesquels je n’aurai probablement pas d’exemples précis, mais le simple fait de pouvoir se débrouiller sans avoir réellement quelqu’un à ses côtés pour le moindre renseignement, et s’apercevoir que tout se passe bien, rien que ce sentiment là m’a beaucoup fait grandir. De voir aussi que la solitude n’est pas pesante, mais qu’au contraire, elle peut donner des ailes et laisser plus de place à la rencontre. Je n’ai jamais rencontré autant de personnes que pendant ces voyages, je n’ai jamais eu l’impression d’entreprendre autant, de me construire autant que pendant ces quelques semaines loin de la maison, dans des pays qui n’avaient certes rien de dangereux, mais dans lesquels je me retrouvais malgré tout un peu face à moi-même.

En faisant cette expérience à l’étranger, j’espérais pousser ce processus un peu plus loin encore. Pour l’instant, tout s’est passé calmement, sans accrocs, et j’ai parfois l’impression de m’être coulée tellement facilement dans cette nouvelle vie que je n’en tirerai peut-être pas autant d’enseignements que ce que je croyais.

Malgré tout, il y a des petites choses, des toutes petites choses apprises mais qui ne veulent pas rien dire.

Dimanche dernier, je suis partie sur l’île de Ven, une île qui se situe entre la Suède et le Danemark. C’était Benoit, un Français rencontré pendant un barbecue sur la plage de Malmö, qui avait organisé l’excursion. Le soleil était plus qu’au rendez-vous : il brûlait, et l’air était lourd. Le voyage en bateau jusqu’à la toute petite île a donc été particulièrement vivifiant. Nous étions une dizaine à participer, et tous venus d’horizons différents. Je retiendrai de cette journée le port longé par de minuscules maisons en bois dans lesquelles on peut manger du poisson fumé et de la salade de pomme qui ont complètement ravi mes papilles gustatives ! Je retiendrai aussi la plage sur laquelle j’ai pris mon premier bain de l’année en Suède, et les grandes plaines plates par lesquelles nous sommes passés, recouvertes d’épis de blé qui donnent tous ensemble l’impression de faire une chorégraphie sous le vent. Je retiendrai aussi la glace à l’acacia, et ce nouveau parfum que je cherche maintenant dans tous les glaciers – mais peut-être est-ce une spécialité de l’île de Ven… ?

Mais ce que je retiendrai surtout, c’est que je suis remontée sur un vélo.

J’ai fait un peu de Vélib’ à Paris avec Nyamuk, mais toujours la peur au ventre, et avec les genoux qui se plaignent après dix minutes de route. Autant dire qu’en déménageant dans un pays où tout le monde circule à deux roues, j’avais un peu peur de ce détail. J’ai d’ailleurs esquivé la question quand Birgitta m’a dit, quelques jours après mon arrivée, qu’il fallait maintenant me trouver un vélo. Je me sens un peu comme Calvin, dans « Calvin et Hobbes », face à ces bestioles. J’ai vaguement l’impression qu’elles m’en veulent, ou en tout cas qu’elles sont douées d’une vie propre et qu’elles ne répondent pas toujours à mes commandes. Sur l’île de Ven, j’espérais prendre un tandem avec Thibault, un autre Français dans le groupe qui avait l’air partant. Sauf qu’il n’y avait plus de tandem. J’ai donc cédé et suis montée sur mon propre vélo. Et pour la première fois depuis longtemps, j’ai vraiment apprécié. Mes genoux, moins, mais j’ai retrouvé le sentiment que j’avais lorsque j’étais petite, pendant les sorties vélo avec mes parents dans la forêt.

Finalement, je me suis même achetée un vélo – un pour moi, un pour Nyamuk. Un vélo très vintage, tout rouillé, avec des vitesses qui ne marchent pas, mais il n’était pas très cher. Je fais maintenant le trajet entre ma maison et le travail à deux roues. Je ne suis pas toujours très assurée et il est fort probable que je redevienne une adepte du bus quand je déménagerai, mais j’ai malgré tout l’impression d’avoir surmonté un challenge. Pour être honnête, j’ai toujours un petit sentiment de fierté quand je gare « Agda » (le nom de mon vélo, donc) et que j’accroche l’antivol. J’ai presque l’impression de faire partie d’un nouveau club.

Au menu des petites leçons de la semaine, j’ai aussi changé les cordes de ma guitare toute seule et pour la première fois. Ca m’a pris environ deux heures, mais au bout du compte, ça fonctionnait, et Philipp – mon coloc- avait l’air de dire que c’était du bon travail. Je vais pouvoir recommencer à rock’n’roller !


mardi 10 juillet 2012

10.07.2012 : Ma tête est un jukebox


Ca fait longtemps maintenant que j’ai des BO pour chaque partie de ma vie. Il y a toujours un bout de chanson qui traine dans ma tête, ce n’est jamais silencieux là-dedans. Non que ce soit organisé, mais à chaque époque correspond sa musique, et il me suffit de réécouter des morceaux laissés à l’abandon pour retrouver des sensations vécues dans le passé. Du coup, j’essaye toujours de trouver un album particulier dans des périodes de changement ou pour des voyages, comme si j’ouvrais des vortex par lesquels il me suffirait de passer pour revenir en arrière. San Francisco, 2009 : Melpo Mene. Islande 2010 : Sean Lennon. Suède 2010 : Maia Hirasawa. Indonésie 2012 : « Welcome to my paradise », etc. Pour l’instant, je ne m’étais pas trop penchée là-dessus. Je n’ai pas encore de BO officielle pour Suède 2012, mais cette semaine aura en tout cas été marquée musicalement.

Notre bureau est assez petit. Il ressemble à une maison plus qu’à un espace professionnel et nous le partageons avec une compagnie de théâtre qui est en ce moment en vacances. Il y a du parquet clair et des murs blancs. Et puis aussi une petite cuisine, une salle de bain avec une douche, une salle de réunion avec un fauteuil massant. Je partage mon bureau avec Birgitta et Ozan. Henrik, lui, est dans une autre pièce. Chacun met sa musique un peu à tour de rôle et surtout, on y parle beaucoup. La semaine dernière, nous devions rédiger la newsletter du mois et cela impliquait pour moi d’écrire pas mal d’articles. Difficile de se concentrer dans ces conditions. Quand elle veut se plonger dans un document, Birgitta met son casque sur ses oreilles, et plus rien ne semble pouvoir la perturber. J’aimerais bien faire la même chose, sauf qu’à chaque fois que je lance une chanson, mon attention est captée par les paroles. C’est encore pire si je les connais, je me sens obligée de les fredonner. J’ai donc voulu chercher des musiques sans parole, et la réponse s’est imposée d’elle-même : du classique.

Jusqu’à présent, je n’écoutais jamais du classique. Mes seules références étaient donc les morceaux que j’avais appris au piano, ou ceux que mon frère jouait dans la maison de mes parents. J’ai donc commencé à écouter des compositeurs que je connaissais, Mendelssohn, Bach, Beethoven. Je suis tombée sur un album de Chopin, et ça a été la révélation. Non seulement je pouvais écrire sans avoir d’interférences, mais j’ai comme eu l’impression que la musique me racontait une histoire sans pourtant qu’il y ait de mots. Difficile à expliquer, mais j’écoutais un langage – un autre langage. Je me suis sentie transportée comme avec d’autres groupes la première fois que je les ai écoutés. Je me suis passée en boucle la Valse n°7 en Do Dièse Mineur de Chopin et je me suis fait choper en train de danser devant la photocopieuse. J’ai continué à l’écouter mercredi soir en allant dans le parc pour un cours gratuit de Lindy Hop et suis passée d’un univers musical à un autre tout en douceur.


C’est la deuxième fois que je vais à ce cours gratuit dans Stadsparken, juste à côté de mon boulot. Le Lindy Hop ou Swing Dance ressemble un peu en rock’n’roll mais en… swing. Les premières trente minutes se passent avec un professeur qui nous apprend les pas de base, puis ils laissent la musique pendant deux heures. J’y retrouve les mêmes personnes, on essaye vaguement d’enchainer des mouvements « Kick the dog », « Turn around », « Turn on the other side » et puis on s’assoit dans l’herbe pour discuter et écouter en regardant les danseurs exercés qui sont sur la piste parmi les débutants. Il y a beaucoup de bonne humeur, de soleil, de douceur. J’aimerais connaitre les noms des groupes pour pouvoir me les repasser, mais je sens que ce ne sera pas pareil, que cette musique, pour le coup, est faite pour danser dans l’herbe et pas dans le bureau.

Tout ça m’a donné deux fois plus envie de trouver des cordes pour remplacer celles qui ont pété sur ma guitare, mais le seul magasin de Lund qui en vend persiste à être fermé chaque fois que j’y vais – même pendant les horaires d’ouverture affichées.



Et puis à la fin de la semaine, après toute cette musique, j’ai enlevé mon casque. Je suis allée sur la plage de Malmö pour un barbecue avec une vingtaine de personnes, et j'ai longtemps écouté la mer. Et quand je suis rentrée chez moi, sur le chemin, il y avait juste le son du vent et le froissement des arbres. Ca peut paraitre très cliché, mais c’est une source permanente d’émerveillement après la vie parisienne. Ca, et le silence de la maison qui n’est pas angoissant, juste calmant. Finalement, ce sera peut-être ça ma BO suédoise : le silence et le vent.

(Bon et puis lundi, histoire de contrebalancer tout ça, on s'est fait une petite session Claude François avec Birgitta. Elle a ensuite voulu me montrer une vidéo du King du disco en Finlande et c'était la vidéo de la discudanse. Comme quoi, on a les mêmes références !)

samedi 30 juin 2012

30/06/2012 : Le soleil est là




Or donc, Midsommar.

Midsommar, en Suède, c’est une institution. A tel point que certain ont réclamé que ce jour devienne la fête nationale du pays. Il s’agit –  pour faire simple – de fêter l’été. En général, les Suédois quittent les villes pour partir dans la campagne, dans leur famille ou leur maison, et communier avec la nature. La fête traditionnelle est très familiale : il s’agit d’ériger un grand poteau décoré de fleurs et de danser autour au son des chants traditionnels – dont la fameuse danse de la grenouille. Avec ça, ils mangent des « herring », du poisson mariné et des pommes de terre avec de la crème. Dernière tradition : les couronnes de fleur que les jeunes filles se confectionnent avec – en théorie – neuf différents types de fleur. Si l’on met ensuite ces fleurs sous l’oreiller, la légende veut qu’on rêvera de sont futur époux. Je crois l’avoir fait l’année dernière pour mon premier Midsommar,  mais ça n’a pas été très concluant. Pendant cette première expérience dans la forêt de Gunnebo Slott, près de Göteborg, je me souviens de cette impression d’innocence en voyant tous ces petits hippies tourner autour d’un mât en chantant des chansons sur les grenouilles. Cette année, une Suédoise rencontrée à Midsommar me dit qu’il y a de fortes chances que le poteau soit en fait un énorme phallus qui viendrait féconder la terre. L’image me parait tout de suite un peu moins naïve. Je visualise plutôt bien la métaphore sexuelle maintenant, et je vous assure que c’est perturbant de voir toutes les familles danser en chantant autour d’un sexe géant.

Bref.

Pour cette célébration, j’ai donc rejoint un groupe de Couchsurfers à Kulturen, le musée traditionnel de Lund, dans lequel on peut visiter des maisons « à l’ancienne » et des galeries qui réunissent des objets de tous les temps, du Moyen Age au monde contemporain. L’une des dernières salles, par exemple,  se partage entre la broderie et les tatouages. Les explications étant en suédois, je ne peux pas dire exactement quel lien est fait entre les deux, mais il y a de l’idée. J’aime ce processus de commencer à récolter les objets du monde d’aujourd’hui pour les futures générations. Qu’est-ce qu’ils retiendront de nous ? Les Iphones ? Ca les fera bien marrer à mon avis.

Tous les ans, les Suédois espèrent qu’il fera beau pour Midsommar mais tous les ans, c’est la débâcle. Cette année n’a pas fait exception, et nous avons donc regardé les familles danser sous la pluie, avant d’être rapatriés dans une salle dans laquelle une compagnie nous a fait une démonstration de danses traditionnelles. C’était beaucoup moins impressionnant que ce que j’avais pu voir, mais ça restait amusant. Ce sont ces types de danse où les garçons et les filles sont face à face, ou dans des cercles différents, et où l’on change de cavalier régulièrement. Un peu le « speed dating » de l’ancien temps, si on veut. C’est en tout cas ce qui m’a frappée, à quel point toutes ces danses ont été pensées pour permettre aux jeunes de se rencontrer, de se fréquenter, de faire son petit marché entre les danseurs en laissant un peu sa chance à chacun. On passe d’un partenaire à l’autre, on a le temps de se dire quelques mots, de se jauger, de se plaire ou non. Le monde n’a pas spécialement changé finalement.

Et puis je me suis forcément mise à penser à ce film génial qu’est « Ensemble nous allons vivre une très très grande histoire d’amour », à son ouverture sur les danses traditionnelles de chaque région avec un Julien Doré déjà hilarant, à ses couleurs, à son soleil, et j’ai presque eu l’impression d’être plongée dans cette histoire.

Une fois les danses terminées, nous avons enchainé dans le programme. Au départ, un barbecue était prévu dans un parc, mais le temps n’étant pas propice, un des Couchsurfers nous avait invités dans l’appartement d’un illustre inconnu. Nous avons donc débarqué, une petite dizaine, chez Federico, un Equatorien venu habiter en Suède depuis pas mal de temps maintenant. L’arrivée était un peu étrange, nous, groupe d’une moyenne d’âge de 20/25 ans, et les autres, un peu plus âgés que nous. Mais au fur et à mesure de la soirée, l’ambiance s’est réchauffée, et l’immense appartement de Federico a finalement été rempli de personnes qu’il ne connaissait pas – ce qui n’avait pas l’air de l’inquiéter, d’ailleurs. J’ai croisé ce soir là tout un groupe de Françaises, dont Nadège, travaillant dans un laboratoire de biologie à Lund, un Allemand ayant passé deux mois au Tibet où il a rencontré sa copine suédoise, un Américain installé depuis plus de dix ans au Danemark, un Tchèque en plein voyage d’affaire qui distribuait un alcool au goût de cannelle, ramené de chez lui, un Suédois montant une affaire de coaching entrepreneuriale, un Espagnol au sourire méditerranéen commençant à prendre les paris pour le match France / Espagne, et un homme un peu étrange avec un t-shirt « The best way to show your love to someone is fistfucking ». Soit.

Cette soirée fut une vraie réussite, pleine de bonne ambiance et de bonnes rencontres (sauf peut-être le gars au t-shirt, quand même). Je vois déjà un petit réseau se former dans tout ça, et je suis heureuse de partir à la découverte de nouvelles personnes. J’ai revu Federico et l’Espagnol pour le match, et les rejoindrai sans doute pour la finale. J’ai aussi revu les Françaises lors d’un barbecue organisé par le Tchèque, et puis encore Nadège, aujourd’hui, pour nous balader avec Maria, une jeune fille rencontrée dans un train lorsque j’étais perdue entre Malmö et Lund.

Il y a eu beaucoup de soleil cette semaine – au sens littéral et métaphorique.
Je l'ai senti partout, dans ma tête et sur ma peau.

Je  me suis retrouvée plusieurs fois à marcher dans les rues avec un grand sourire aux lèvres, de la lumière derrière les yeux, me disant que j’étais tellement heureuse… que ma seule peur maintenant serait que ça s’arrête.

dimanche 24 juin 2012

21.06.2012 : Dreaming away




Depuis que Nyamuk est parti en Indonésie, je me couche plus tôt. Et donc, je dors plus longtemps. Et donc, je me remets à rêver. Pendant longtemps, je n'ai pas vraiment rêvé - que ce soit à cause de nuits trop courtes ou à cause de somnifères. Je crois que mes rêves me faisaient très peur. Ce n'est que récemment que j'ai "accepté" de laisser ma tête faire son petit travail de tri. J'appréhende encore un peu, parfois, mais je me rends compte que mes idées sont quand même beaucoup mieux rangées qu'avant. Ca vaut le coup de laisser faire, finalement. Je commence même à plutôt kiffer ça.


Depuis mon arrivée ici, je carburais plutôt à six heures de sommeil. Non pas que j’ai l’habitude de dormir beaucoup plus normalement, mais depuis mon retour de Bali, mes nuits duraient au moins dix heures. Un peu trop peut-être, mais on finit par prendre le rythme. Je commence donc à comprendre qu’il faut que j’atteigne au moins la barre des huit heures pour que mon cerveau se mette à faire le tri pour produire des histoires – souvent absurdes.

En début de semaine, nous sommes partis à Göteborg avec Trans Europe Halles, pour organiser notre prochain meeting qui se déroulera fin septembre dans deux centres culturels : Röda Sten et Konstepidemin. Le premier est situé sous un pont, près du port duquel partent les ferrys qui relient la Suède et le nord du Danemark. «Röda Sten » signifie « pierre rouge » et ce nom vient d’un rocher peint en rouge depuis des années, au bord de l’eau. Il s’agit essentiellement d’un lieu d’expositions pour les arts plastiques, mais ils ont aussi un restaurant qui se transforme en club à l’occasion. L’autre centre, Konstepidemin, est en fait un ancien hôpital et le nom est un jeu de mot sur « l’épidémie de l’art ». L’endroit est géré par une communauté d’artistes qui travaillent ici, mais ils accueillent aussi des personnes extérieures en résidence ou en programmation. On y trouve beaucoup de plasticiens, mais aussi un studio de musique qu’on peut louer à la journée. J’avais visité ces deux centres l’année dernière, et j’étais tombée amoureuse de Konstepidemin, de ces petits bâtiments réunis autour d’espaces ouverts où on peut lézarder (quand il y a du soleil).

Les journées de travail ont été particulièrement fatigantes. Il fallait suivre et essayer de prendre part à un processus déjà en place depuis plusieurs mois, tenter de s’y intégrer. Le soir, je tombais comme une masse – et le fait de partager ma chambre avec Birgitta a sans doute joué dans le fait que je devais me coucher plus tôt que d’habitude. Et mon cerveau avait apparemment beaucoup de choses à évacuer. Les deux nuits passées là bas ont été pleines de rêves plutôt violents où je tuais beaucoup de personnes sans le faire exprès, où j’étais attaquée par d’autres puis en cavale. Le genre de rêves qui parait très réel et après lesquelles on se réveille en se demandant si on a effectivement tué quelqu’un ou non.

Cela dit, après toutes ces turbulences, j’ai eu la sensation d’avoir fait une bonne vidange et je me sens un peu plus calme. Tout ici me rend plus calme, en même temps. Le rythme de vie est très différent, et je sens que je m’y fais plutôt facilement. Les horaires de bureau : 9h / 16h30, pour tout le monde ou presque. On nous rappelle souvent qu’on a une vie en dehors du travail, qu’il faut aller faire du sport – quitte à quitter le boulot plus tôt. Les rues sont calmes ; même la pluie parait moins stressante puisque tout le monde à l’air de ne pas vraiment s’en soucier. Comme me l’a dit une Suédoise il y a quelques jours, si on s’empêchait de vivre quand il pleut ici, on ne sortirait pas beaucoup de chez soi. Sauf que le temps a été plutôt clément, jusqu’à présent.

Tout ça fait que je prends un rythme de vie aussi très différent de celui que j’avais à Paris – et pour l’instant, ça ne me pèse pas. Au contraire.

Je me souviens de mon cousin, lors de mon dernier jour à San Francisco. Nous avions fait une promenade dans un quartier plein de maisons très « high standard ». Il m’avait parlé de sa philosophie de vie ; pour lui, on ne pouvait pas évoluer constamment. Il s’agit plutôt d’avancer par paliers. D’arriver à un palier, et d’y rester un moment avant de gravir un autre échelon. Je me souviens du dessin qu’il avait fait sur le mur avec son doigt.

Je sens clairement que je viens d’atteindre un palier, que je vais m’y poser un moment, faire ce que j’ai à y faire, avant de pouvoir passer à autre chose la conscience tranquille.


Nyamuk n’en revient pas trop quand je lui dis que pour l’instant, une sortie par semaine me suffit. Mais j’ai trop de choses à faire avec moi-même. Continuer à rêver, par exemple. 

dimanche 17 juin 2012

18.06.2012 : C'est la fête, la fête.




Cette semaine aura été placée sous le signe de la fête !

En ce moment, les étudiants célèbrent la fin de l’année scolaire à Lund. Et la ville étant en majorité composée d’étudiants, on peut facilement imaginer l’ambiance dans les rues. Selon les derniers chiffres, il y a ici 75 000 habitants, dont 45 000 sont à l’université. Pas très surprenant qu’elle ait été désignée comme la cinquième ville la plus jeune de Suède.

Mais l’année à l’université est finie depuis le début du mois de juin, déjà : cette semaine, c’était les lycéens qui étaient liesse. Et ça ne rigole pas. J’avais déjà vu des manifestations un peu similaires au Danemark l’année dernière, mais cette fois, je les vis au quotidien.

Dès le matin, on croise dans les rues de Lund des camions (oui, oui, des camions) dont les remorques sont pleines de jeunes avec un chapeau blanc sur la tête, qui ressemble un peu à une casquette de marin. En général, les camions sont suivis par des voitures de collection conduites par le Papa très riche ou un jeune adulte aux cheveux gominés. Et tout le monde siffle, chante, et crie des slogans que je ne comprends pas (encore).

Vers 8h30, quand je pars travailler, je passe par ce qui semble être leur point de rendez-vous dans le parc à côté de Mejeriet. Ils ne sont pas loin d’une centaine, avec leur petit chapeau blanc, à se rassembler sur la pelouse. Birgitta m’a expliqué qu’il s’agit du chapeau traditionnel des étudiants : il y a fort fort longtemps, c’était un signe distinctif pour les personnes qui avaient été à l’université ; une sorte de corporation, si on veut. Depuis, cette « décoration » a été gardée et sert pour les fêtes de fin d’année.

Et déjà, à 9h du matin, on peut les voir commencer à picoler – du vin ou de la bière en général. Belle performance ! Car moi, rien que de les voir la canette à la main avant même mon petit déjeuner, j’avoue que je me sens presque malade pour eux. Le reste de la journée, ils déambulent dans toutes les rues avec camion et sound system, dans une ambiance plutôt bon enfant. La ville va être bien vide quand ils seront tous repartis pour l’été.

Et puis cette semaine, c’était aussi la fête de départ de Plamena, au bureau, avant qu’elle ne reparte en Bulgarie. Elle était arrivée comme stagiaire au mois de septembre 2011 et avait enchainé en travaillant avec Trans Europe Halles en temps partiel. Je n’ai pas eu le temps de beaucoup la connaitre, mais je pense que nous aurions eu une bonne connexion toute les deux ! Ce que je retiendrai sans doute le plus chez elle, ce sera son rire. Elle est toute petite et toute fine, mais elle rit toujours très fort, avec un grand sourire qui lui mobilise tout le visage. Ce genre de rire communicatif, qui donne envie de la suivre même si on n’a rien compris à la blague. Je retiendrai aussi son énergie débordante, l’impression qu’elle ne s’arrête jamais et qu’elle arrive à cumuler douze journées dans une seule. J’aurais bien aimé la garder au bureau…

Jeudi, nous avons donc organisé un petit apéro au bureau, avec serpentins et musique traditionnelle. Chacun a montré aux autres les danses de son pays, et la Suède gagne largement en matière de chorégraphie simple à apprendre. Et puis j’ai revu Plamena hier : nous sommes allées passer la journée à Skanör, une petite ville à 40 minutes de Malmö, en bord de plage. J’ai retrouvé les paysages qui m’avaient tant plu l’année dernière, notamment à Falkenberg. Des grandes plages de sable très blanc, un horizon très dégagé, et les alentours globalement plats mais qui donnent l’impression de respirer deux fois plus. Nous avons beaucoup discuté, assises devant les dunes, surtout des relations entre des personnes de cultures différentes. Et puis des hommes évidemment, parce que c’est toujours un sujet qui rassemble quand on se retrouve entre filles.


Le soir, elle m’a proposé de la suivre dans la maison dans laquelle elle vit en ce moment, pour diner dans le jardin avec son coloc mi-français mi-suédois. Ils vivent à trois ou quatre dans cette gigantesque maison à vingt minutes du centre de Malmö et je me dis que les standards suédois sont vraiment bien au dessus des nôtres. Andres (dans mes souvenirs) avait ramené une bouteille de Pastis de son dernier séjour en France pour faire un apréro « comme là-bas ». Quand un autre de ses amis, Sherban, un Roumain venu travailler ici pendant six mois, nous a rejoints, nous avons décidé de finir la soirée dans le centre de Malmö. C’est comme ça que nous nous sommes retrouvés quelques heures plus tard à la terrasse d’un café presque vide, en train de danser sous la pluie qui nous avait laissés tranquilles toute la journée. On se serait presque cru dans une pub Hollywood chewing-gum. Et puis un peu comme un coup de massue, vers 2h du matin, j’ai senti le manque de Nyamuk revenir un peu trop fort, et cette impression que les choses ne me plaisent qu’à moitié s’il ne les voit pas. J’aurais voulu lui montrer cette plage, et le forcer à danser sous la pluie – et je ne suis pas sûre qu’il aurait accepté, en fait. Mais c’est pas grave, c’est pour bientôt.

Aujourd’hui, évidemment, j’ai compris que ce n’était pas forcément une bonne idée de faire la salsa sous la pluie – je ne suis pas encore malade, mais j’avais l’énergie d’une éponge.

Bref, cette semaine de fête s’est terminée dans les règles : en vautrage sur le canapé.

Prochain épisode : Göteborg.