*Un ange est apparu dans un renversement de bière, oui oui.*
Ce week-end
fut un week-end de concerts. La programmation à Mejeriet est plutôt
alléchante en ce mois de novembre. Il faut dire que le lieu a toujours baigné
dans la musique et a un long passif de découverte de nouveaux talents.
Mejeriet est en fait une ancienne laiterie. Suite à la fin
de cette activité, un long combat politique s’est engagé à Lund pour
reconvertir l’endroit en un lieu culturel. La municipalité a d’abord donné son
accord aux initiateurs du projet – mais les choses ont trainé, jusqu’à ce qu’un
politicien plus conservateur s’oppose officiellement à la création du centre artistique.
Le Kulturmejeriet n’ouvrira finalement ses portes qu’en 1987 (l’année de ma
naissance !), grâce au don d’une fondation privée, la Crafoord Foundation.
Au départ, trois associations de musique se sont partagés les 2200 m² que
représente l’ensemble des bâtiments. Aujourd’hui encore, de nombreux concerts
sont organisés, ainsi que les brunchs jazz le dimanche, et des cours de piano,
de guitare, de batterie,… Des studios de répétition sont aussi à disposition
des groupes amateurs ou professionnels et lorsqu’on se promène dans les
couloirs de Mejeriet, les murs sont remplis de posters de groupes que j’aurais
rêvé de voir dans un tel lieu : Miles Davis, Massive Attack, Radiohead,
The Stone Roses, Oasis, Iggy Pop,…
Je n’avais pas encore vu de concert ici – et lorsque je me
suis aperçue que Mark Lanegan jouait à l‘endroit même où je travaille, j’ai
sauté au plafond. Mark Lanegan, je dois l’avoir vu cinq ou six fois en concert.
Je suis à chaque fois envoûtée par sa voix mais aussi sa carrure, son charisme.
Quand il se tient sur scène, presque immobile, avec de grandes ombres noires à
la place des yeux, zébré de lumière rouge, j’ai comme l’impression d’être aspirée
par une sorte de vortex. Et ce soir-là, encore, ça n’a pas loupé. J’ai
rapidement oublié que la foule était beaucoup moins chaleureuse que d’habitude,
ou que j’étais épuisée par une semaine en montagnes russes. J’étais simplement
enveloppée dans sa voix.
Je suis sortie du concert avec un sourire gravé dans le
cerveau plus que sur le visage et ai continué à écouter ses albums dans le bus
qui me ramenait à la maison.
Et pourtant, le lendemain, Mark Lanegan a été détrôné par un
chauffeur de taxi.
Nyamuk est arrivé dimanche – enfin ! Nous sommes restés
à Copenhague le soir pour assister à un autre concert à Amager Bio : Fear
Factory et Devin Townsend Project. Bon, Fear Factory étaient mauvais, il faut
le dire. Ce genre de moments un peu gênants où on se dit qu’ils auraient du
arrêter de tourner il y a dix ans, quand ils étaient encore à peu près crédibles.
D’une manière générale, ce n’est de toute façon pas mon genre de musique. Nous étions
là essentiellement pour Nyamuk qui essaye de me convertir à Devin Townsend. Et
même si j’ai apprécié son concert, sa folie, son côté déjanté et un peu taré,
les morceaux ne sont pas assez mélodieux et cohérents pour réellement retenir
mon attention. En revanche, je me souviendrai longtemps que Devin Townsend nous
a permis de rentrer tard à Lund, et de rater les derniers bus pour rentrer chez
nous.
Arrivés à la gare de Lund, chargés de valises, nous nous
dirigeons donc vers la borne de taxi. Un chauffeur nous alpague, nous demande
si nous avons besoin de lui. Oui, d’accord. Nous nous installons un peu dépités
sur la banquette arrière en voyant devant nous de nombreuses images
religieuses, un chapelet et même –je crois – une prière en suédois scotchée sur
le volant. Nous roulons. Nous discutons un peu, les questions habituelles. Vous
venez d’où ? Vous aimez la Suède ? Nous arrivons. Ca fait 300 kr.
Vous prenez la carte ? Oui. Tenez. Et en récupérant ma carte bancaire, je
vois sur le siège avant une guitare classique.
« Tiens, vous jouez de la guitare ? »
« Oui, je suis
un musicien sérieux mas je ne joue pas sérieusement, vous voyez ce que je veux
dire ? Je joue parfois une chanson aux clients pour avoir un peu d’argent
en plus. Je peux vous jouer une chanson, mais ce n’est pas la peine de me
donner des sous en plus, votre course était déjà chère. »
« D’accord. »
David a pris sa guitare et s’est mis à jouer.
Dans son taxi,
au milieu de la nuit, coincé derrière le volant de sa voiture.
Il s’est
mis jouer et à chanter une chanson aux
accents légèrement espagnols, intense.
Nous étions au milieu de la campagne, à
deux heures du matin, et notre chauffeur de taxi nous a joué cette superbe
chanson avec une fois à la fois douce et puissante.
Je venais de retrouver
Nyamuk après un mois de séparation, et notre chauffeur, derrière son volant,
avec sa guitare classique, a transformé notre soirée en un film hollywoodien.
La chanson était superbe. Je ne savais pas trop si je devais
rire ou pleurer, j’ai fait un peu les deux. C’était un petit cadeau, un
véritable petit cadeau de la vie. Tout simple, mais d’une grande générosité.
Nous avons quitté David en le prenant dans nos bras, en
notant son numéro de téléphone. Je ne sais pas si je remonterai un jour dans
son taxi. Cet instant ressemblait presque à un rêve, une illusion. Mais il nous
a rappelé que, décidément, la beauté peut se cacher dans des endroits où on l’attend
le moins.