lundi 25 juillet 2016

18.01.2016 - Inle Lake : plongée dans un Lonely Planet grandeur nature.




Au lendemain du premier jour de notre trek, nous nous sommes réveillés tôt pour descendre doucement vers Inle Lake, notre destination. Nous avancions cette fois dans une brume matinale recouvrant les petites montagnes qui paraissaient bien pâles, au lever du jour. Cette fois, mes tibias me faisaient un mal de chien et le chemin en pente n'allait pas aider.

Après quelques heures de marche, nous sommes arrivés à Inle Lake, un gigantesque lac de 116 m² qui, avec une telle superficie, ressemble davantage à un océan qu'à un lac. Comme la plupart d'entre nous n'aviaient absolument rien organisé, nous avons continué à suivre Amélie, la seule qui avait planifié les choses un peu plus en amont, et avait déjà une réservation dans une auberge de jeunesse à Nyaungshwe, une petite ville située au bord du lac. Pour rejoindre cette destination, et comme nous avions du temps, notre guide nous a proposé de faire un tour en bateau dans le marché flottant construit sur pilotis sur un des côtés du lac. Un long dédale d'allées aquatiques dont la beauté surpasse de loin ce que j'avais pu voir dans les khlongs à Bangkok au tout début de mon voyage.






Nous sommes montés sur une longue barque en bois fine, dans laquelle nous devions nous asseoir bien en face à face, avec précaution, pour ne pas la faire chavirer. Il faisait une chaleur écrasante et nous étions épuisés par la longue marche, mais l'eau du lac venait nous rafraîchir et je crois que nous étions tous plutôt excités à l'idée de se laisser tranquillement porter par le bateau. Sauf que. Ca ne s'est pas tout à fait passé comme nous l'avions prévu : la balade n'a pas été qu'un doux flottement entre les rives du grand lac. Nous sommes rentrés tête la première dans les pages d'un guide touristique avec de très belles photos, certes, mais très loin de la chaleur humaine de notre feu de camp de la veille.

Malgré notre réticence affichée, nous avons du nous plier aux différents passages obligés plus ou moins imposés par nos deux guides qui nous ont arrêtés dans différentes boutiques pour touristes, selon ce qui semblait être un itinéraire parfaitement étudié à l'avance. Des fabriques de bijoux en argent, de parapluies, de tissus faits à base de lotus et de soie, des cigares. Chaque fois, nous observions des Birmans en pleine fabrication des différents produits et tombions en syncope devant les prix de vente de la marchandise. Il semblerait qu'un tourisme de luxe se développe au Myanmar, sans doute de riches Chinois qui viennent notamment à Inle Lake pour résider dans de magnifiques hôtels montés sur pilotis et acheter des étoles avoisinant les 500 $. Nous ne faisions pas vraiment partie de ce public là.


* Dans la fabrique de bijoux en argent *


* Tissage de tissu en fibres de lotus et en fil de soie *



Face à ces arrêts forcés, les différentes personnalités ont aussi commencé à se révéler dans le groupe. Certains contenaient avec peine leur agacement et montraient clairement leur opposition en refusant de mettre les pieds dans les boutiques. D'autres suivaient sagement le parcours, sans trop s'attarder, juste histoire de faire ce qu'on nous avait dit de faire. D'autres en profitaient pour partir à la rencontre avec les locaux. C'est comme ça que nous avons retrouvé Ryan en train de tester le bétel.

Le bétel est une de ces choses qui marquent au Myanmar, qui marquent la rétine comme la mémoire, tout comme le maquillage jaune du bois de Thanaka. Il s'agit en fait de feuilles d'une plante grimpante, le bétel, badigeonnée d'une sorte de chaux, et dans lesquelles sont roulées des noix issues du même arbre, les noix d'arec, avec du tabac et d'autres épices. Les Birmans mâchent ce mélange à longueur de journée. Ce serait une substance stimulante, mais aussi une drogue très addictive. Elle est notamment utilisée par les chauffeurs, taxis comme routiers, qui l'utilisent pour rester éveillés après les longues heures derrière leur volant. Problème : le mélange est cancérigène et pourrit les dents. La noix d'arec mastiquée colore toute la bouche et la salive en rouge. On les voit, très souvent, régurgitant de longs crachats rouge écarlate qui laissent sur le sol des traces qu'on pourrait prendre pour des gouttes de sang. La première fois que j'ai vu mon chauffeur de taxi, à Yangon, cracher son bétel, j'ai cru qu'il avait une hémorragie interne.

Mais ces couleurs se sont incrustées dans ma rétine. Visage jaune sable. Lèvres rouge sang.

Ryan s'est donc lancé dans la dégustation du bétel et vu que sa tête est devenue aussi rouge que les crachats qui colorent le sol, je crois qu'il a regretté. Petite joueuse, j'ai juste mastiqué un petit bout de noix sans le mélange d'épice. C'était dur et avait un goût de terre. Pas prête de devenir accro.

* Je vous laisse faire une recherche Google Image des ravages du bétel sur les dents, mais SPOILER ALERT, c'est moche. * 

Après notre parcours dans ce petit Disneyland birman sur pilotis, nous avons finalement quitté le marché flottant pour arriver sur l'immensité du lac. Et là, tout le monde s'est tu. Il se dégageait de ce paysage une incroyable sérénité. L'eau à perte de vue, calme comme un miroir. Le ciel bleu qui le prolongeait. Et ça et là, des petites barques sur lesquelles étaient juchés des pêcheurs, debout, un pied enroulé autour de leur rame, en équilibre, pour la manier en gardant libres leurs deux mains qui tenaient d'énormes paniers en forme de cône avec lequel ils attrapent le poisson. 

Nous avons navigué entre ces étranges silhouettes, jusqu'à nous approcher de l'un d'entre eux qui, soudain, a commencé à se pencher sur le côté, en équilibre, posant son panier sur un pied qu'il levait dans une position très étrange. J'étais trop occupée à me demander ce qu'il fabriquait et à apprécier le calme du lac pour penser à prendre mon appareil photo mais Ali, lui, a tiré son portrait. Erreur. Notre barque s'est arrêtée à proximité du pêcheur qui a réclamé de l'argent en échange de son acrobatie et de la photo prise.

Conclusion : non, la pose que tous ces pêcheurs prennent sur les photos des guides touristiques sur le Myanmar n'a rien de naturelle.


* Photo piquée sur http://www.labalaguere.com *


Mais finalement, tout ça ne faisait rien. La beauté du paysage, le calme de l'eau qui s'accordait parfaitement à mon corps délassé, avachi dans la barque et à mes os qui se réchauffaient sous le soleil après le froid glacial de notre nuit dans les hauteurs, tout ça rendait bien dérisoires ces petits attrapes-touristes qui, en plus, n'avaient rien d'agressifs.

Nous avons été débarqués à Nyaungswhe puis emmenés à Song of Travel, l'auberge de jeunesse la plus chère que j'ai payée dans tout ce périple asiatique (14 $ pour un lit en dortoir) mais tellement confortable que je n'ai pas regretté mes billets pour une nuit, seule sur mon matelas moelleux. Il était temps de faire une pause. Nous avons lavé nos vêtements, pleins de la poussière ocre des montagnes, dans les douches, le pressing - que l'on paye à la pièce et non au kilo au Myanmar - étant trop cher pour nos petits portefeuilles de backpacker. Nous avons mangé encore des shan noodles, la spécialité de nouilles de la région. Nous avons acheté encore une bouteille de whisky birman et nous sommes rassemblés sur le gigantesque rooftop de notre auberge. D'autres nous ont rejoint. A moitié allongés sur des transats, nous avons fait ce qu'on fait peut-être le mieux quand on voyage mais dont les guides touristiques ne peuvent pas parler : apprendre à nous connaître, nous-mêmes comme tous les autres.