samedi 9 juin 2012

09.06.2012 : Bilan d'une semaine culturelle



Velvet Underground sous le soleil suédois.


Cette semaine aura été pour le moins « culturelle ».

Mercredi, je suis partie avec Birgitta et Henrik à Herning au Danemark pour assister à une conférence sur les politiques culturelles, et plus précisément sur le nouveau programme européen, « Creative Europe ». Deux jours de conférence avec quantité d’opérateurs culturels, principalement nordiques. Une bonne manière d’être directement plongée dans le bain pour mon nouveau travail.

Ces quelques jours m’ont appris énormément de choses et m’ont beaucoup motivée pour finir ce mémoire qui m’attend toujours cet été. Ils ont aussi été l’occasion de faire beaucoup de rencontres. Banafsheh et Ida, qui travaillent toutes les deux dans deux organisations différentes à Stockholm ; Mickael, qui faisait partie de l’équipe à l’initiative de cette conférence ;  Jacques, un metteur en scène mi-danois mi-arménien qui monte des spectacles partout dans le monde ; Lifeng, une étudiante en géographie qui habite elle aussi à Lund. L’ambiance était très détendue, et j’ai eu l’occasion de parler longuement de Charles Aznavour avec Mickael en finissant la soirée dans un bar dans le centre d’Herning.

Herning a longtemps été une ville industrielle spécialisée dans le textile. Aujourd’hui, elle se développe culturellement, notamment à travers HEART, le centre où la conférence a eu lieu, mais aussi parce qu’elle a posé sa candidature pour être la prochaine capitale culturelle européenne, en concurrence avec Aarhus, la grande ville la plus proche dans laquelle j’ai séjourné quelques jours l’année dernière. 

Après plusieurs mois où je devais presque me forcer pour garder un lien social avec l’extérieur, et après avoir pensé que je ne serais plus capable de parler aussi facilement avec des personnes inconnues, le dialogue s’est finalement rétabli tout seul. Mais contrairement à l’état dans lequel je pouvais me mettre il y a quelques années, je ne ressens plus l’urgence de RENCONTRER. Tout se fait plus simplement, et j’apprécie de rentrer chez moi le soir, ou de passer du temps à la maison pour avancer sur d’autres projets.  Moi qui voulais « reseter » le tourbillon parisien, j’ai certainement choisi le bon endroit.

Jeudi soir, le dernier soir de la conférence, nous avons assisté à un spectacle par l’Odin Theatre, qui est semble-t-il une institution au Danemark. Spectacle auquel je suis restée complètement hermétique malheureusement. La scène était une espèce de grand ouragan de costumes et de couleurs, de langues différentes, et de chansons dans tous les sens. Ce qui peut paraitre attractif comme ça, mais qui finalement n’était qu’une espèce de brouhaha brouillon dans laquelle des histoires de guerre civile et de recherche du père s’entremêlaient sans vraiment de cohérence. Le tout était rempli d’un amoncellement de détails qui n’avaient pas l’air de servir à grand-chose. Tout ça donnait l’impression d’un mix étrange entre des formes très contemporaines et quelque chose de très traditionnel, burlesque et très théâtralisé. La scène était située au centre du public et les acteurs lançaient très souvent des pièces, des cartes, des morceaux de glace. J’étais assise au premier rang et m’attendait à tout moment à recevoir un projectile – je l’attendais même – mais il n’est jamais venu. Ce qui m’a semblé être une bonne métaphore pour dire que rien ne m’a touchée dans ce spectacle.

L’impression a été partagée avec la plupart des personnes avec qui j’en ai parlé après. Mais au moins, je n’oublierai sans doute pas cette pièce de si tôt.


La voiture qui nous a emmené voir le spectacle de l'Odin Theatre - venue direct de Californie !

A l’inverse, je suis allée ce soir voir un autre spectacle à Elsöv, à dix minutes de Lund. Philipp, mon coloc, dansait dedans et je lui avais demandé si je pouvais venir. C’était un grand show monté avec – semble-t-il – plusieurs personnes de l’école dans laquelle il a appris à chanter, à danser et à jouer. Pendant deux heures, la compagnie a donc enchainé des scènes de comédies musicales célèbres. Il y avait parfois un petit côté amateur, surtout à cause des problèmes de sono, mais j’ai finalement passé un bien meilleur moment qu’à Herning. Il y avait du plaisir dans leur jeu, et tout était vraiment divertissant. Je ne suis pourtant pas le meilleur public en matière de comédie musicale, mais ces deux heures sont passées très vite. Philipp a eu « son » tableau durant lequel il interprétait Michael Jackson et c’était plutôt cool de le voir dans son propre univers. J’ai aussi rencontré sa mère, qui était là, une chanteuse de chansons françaises, Edith Piaf, Jacques Brel et aussi – je crois – Mireille Matthieu. Un tout petit bout de femme avec de longs cheveux noirs et un rire d’enfant qui souriait tout le temps. J’ai finalement passé toute la soirée à discuter avec elle et l’ai quittée sur le quai de la gare de Lund, en lui promettant de venir assister à son prochain concert.

Conclusion de tout ça : je ne m’y attendais pas, mais ici, je peux clamer mon amour de la chanson française – et donc de Jean Jacques Goldman – et partager ça avec des Suédois. Comme quoi, tout peut arriver.

La semaine s’achève donc tranquillement avec toujours en tête des milliers de choses à faire. Vendredi soir, en attendant le train à Malmö, j’ai aussi rencontré Maria qui vient de rentrer en Suède après cinq ans passés à Londres pour faire son post-doc en biologie médicale. En lui parlant de ma recherche d’appartements, elle a proposé de m’aider et m’a déjà envoyeé plusieurs liens qui pourraient m’être utiles. Tout le monde me dit qu’il est très difficile de trouver un logement ici… espérons qu’avec « a little help from my friend », les choses s’enchainent plus vite… Mais pour l’instant, cette histoire reste un grand sujet de préoccupation pour moi.

Il m’arrive encore d’avoir des moments de doute et je peux passer de l’exaltation d’être ici et de voir tous les projets que je vais pouvoir mettre en place, au désespoir et à un sentiment de solitude assez dévastateur. Hier soir, je me morfondais devant ma soupe ; et puis ce matin, j’ai marché sur le chemin piéton qui longe la voie ferrée, derrière ma maison. Il faisait beau et j’avais le Velvet Underground dans les oreilles. Heureusement, ces moments plus sombres ne durent pas longtemps, mais ils sont plus intenses que dans mon petit cocon parisien. Et Nyamuk est toujours là, par l’intermédiaire de ma fidèle clef 3G. Il va falloir revoir notre rythme d’appels quand il sera à Bali, mais ça, ce sera encore une autre histoire à raconter. 

dimanche 3 juin 2012

02/06/2012 : Un jour à Malmö




Enfin une journée quasiment parfaite !

Ce matin, j’ai fait la connaissance de mon deuxième coloc, Johan, qui vit ici depuis un an. Il vient de Stockholm et suit des études d’ingénieur (en quoi ? j’ai pas bien compris). Mais je ne vais sûrement pas le voir très longtemps, car il repart demain dans le nord pour passer l’été avec sa famille, et va peut-être chercher un autre logement à Lund pour avoir son propre appartement. Lui aussi a l’air adorable et me propose son aide pour tout ce dont j’aurai besoin.

Plus tard, je me mets en route pour le centre ville pour trouver des meubles à mettre dans ma chambre. Philipp m’indique un chemin qui devrait me mener plus rapidement à la gare que ce que je faisais jusque là. Evidemment, je me perds. Ca aurait été trop simple. Je pensais avoir trouvé le bon chemin ensuite, l'ai pris au retour, tout commençait bien et... je ne suis pas du tout arriver où j'avais prévu. C'est bien la troisième fois que ça m'arrive à Lund. Je suis quasiment sûre qu'il y a un vortex quelque part qui m'emmène à l'opposé de là où je suis censée aller. 

Pendant tout le début d’après-midi, je vais réellement expérimenter le temps suédois. Ce matin, en prenant mon petit déjeuner, il s’est mis à grêler alors que le soleil était encore là. Ensuite, pendant mon chemin vers le centre de Lund, la pluie et le soleil s’alternent toutes les deux minutes. Je comprends donc pourquoi les Suédois n’ont pas l’air d’être gênés plus que ça par la pluie. Après avoir ouvert et fermé mon parapluie environ dix fois en quinze minutes, je laisse tomber. Qu’il pleuve sur moi, ça ne va pas me tuer.

Après un arrêt café / Internet au Herkules, et l’achat d’une clef 3G en dépannage, je fais quelque magasins d’occasion et trouve un petit bureau et un meuble à tiroirs pour moins de quinze euros. La plupart des boutiques à Lund sont des magasins d’occasion où on peut franchement faire de bonnes affaires. Je sens que ma chambre ne sera pas vide très longtemps. J’achète aussi quelques petits objets de déco, un peu anodins, mais quand je les placerai un peu plus tard dans ma chambre et dans la salle de bain, me viendra comme une espèce de soulagement. Du type "Cette fois, je suis chez moi."

Ce soir, je suis censée rejoindre Maja, qui travaille au cinéma de Mejeriet, à Malmö. Elle m’a proposé de venir à un petit festival de cinéma indépendant. J’ai un à priori plutôt négatif de Malmö, à cause de descriptions entendues la désignant comme une ville très industrielle. J’hésite un peu avant de me mettre en route, et finis par me bouger en fin d’après-midi. Le train ne met que dix minutes pour arriver là-bas, j’ai presque l’impression de faire un Issy les Moulineaux / Paris, mais en RER. Arrivée à destintion, je me dirige directement vers l’éco quartier de Västra Hamnen, dont l’ambition est de créer des bâtiments entièrement avec des énergies renouvelables. L’eau de pluie serait aussi récoltée pour être réutilisée.

Je marche pendant un moment dans des quartiers en construction pas très folichons et aperçois de loin la fameuse Turning Torso, la tour devenue symbole de cet endroit. Il s’agit de plusieurs cubes montés les uns sur les autres en décalés, ce qui fait que cette tour « tourne » sur elle-même à 90°. En arrivant au pied de la Turning Torso, j’ai un véritable coup de cœur pour le quartier. Les maisons en bois avec l’eau qui coule au milieu. L’architecture simple et moderne. J’avance un peu vers la mer, et enfin, je respire. Je vois l’eau bleu foncé et bouillonnante à mes pieds, et plus loin, une superbe vue sur l’Oresud. Tout le bord de mer a été aménagé avec une longue promenade en bois, et des espaces surplombant l’eau. Des échelles descendent depuis le bord pour se baigner quand le temps est plus clément. Je me pose pendant de longues minutes à cet endroit. Le vent souffle très fort dans mes oreilles, l’eau passe du gris au bleu, et je me revois un an plus tôt à Falkenberg, criant et chantant face à la mer. Je me souviens de cette énergie qui m’était venue et c’est la même chose qui me vient à ce moment. Je me souviens à nouveau de ce qui me plaisait tant ici. L’impression d’avoir un paysage vivant. Je crois que je suis définitivement amoureuse de la mer Baltique. Il n’y a pas grand monde sur les dock alors là aussi, je me mets à chanter, tant qu'à faire. Cette fois, j’ai déjà une idée d’un des premiers endroits où j’emmènerai quiconque viendra me voir en Suède !

Je continue à avancer et marche longuement dans des parcs, un premier qui longe l’eau, avec de grandes étendues d’herbe et des bancs face à la mer. Puis un autre, traversé par une petite rivière, très boisé et rempli de canards. Je commence à avoir une vision radicalement différente de Malmö. Le parc me mène directement à la vieille ville, Gamla Stan, que je traverse rapidement en passant par Lilla Torget, une petite place pavée envahie par les terrasses des restaurants, puis Stortorget, beaucoup plus grande. Je me dirige vers le quartier de Möllevangen, où je dois retrouver Maja, et traverse pour cela plusieurs rues pavées, comme à Lund, mais beaucoup plus grandes. Malmö n’a vraiment rien à voir avec les autres grandes villes que j’ai visitées en Suède, Stockholm et Göteborg. Je ne sais pas encore si je chercherai un logement ici, mais je reviendrai clairement y passer du temps !

Je retrouve Maja dans les bureaux de la boite de production qui organise le festival. Le concept est intéressant : plusieurs personnes travaillant dans le cinéma indépendant s’inscrivent, et quatre réalisateurs, quatre monteurs, quatre ingénieurs du son et quatre directeurs de la photo sont choisis. Puis, les équipes sont tirées au hasard et tous ces gens qui ne se connaissent pas nécessairement doivent tourner un film en huit heures sur un thème écrit par un célèbre auteur. Ils auront encore huit heures pour monter le tout, avant la diffusion qui a lieu ce soir. Le concept est d’autant plus intéressant qu’un monteur qui serait dans le métier depuis vingt cinq ans peut se retrouver à devoir travailler avec un réalisateur à peine sorti de l’école. Le thème commun à tous est l’histoire d’une vieille femme apparemment connue à Malmö qui squattait justement dans le quartier de Västra Hamnen, où j’étais un peu plus tôt dans la journée, et dont le manteau était recouvert de bout de papier noircis de messages politiques. Chaque réalisateur a donné une vision très différente de l’histoire, oscillant entre une interprétation très littérale, et des visions un peu plus surréalistes. Enfin je crois. Ou alors, c’est parce que je ne parle pas un mot de suédois et j’ai tout compris de travers.

Le reste de la soirée s’est passé à boire des bières danoises entre le grand appartement où le festival était organisé et la terrasse en bois éclairée par des lampions. Maja avait apparemment prévenu pas mal de monde de ma venue, et j’ai pu discuter avec beaucoup de personnes. Dont cette jeune fille qui travaille dans les politique locales et s’intéresse à l’aménagement de l’espace urbain pour améliorer l’intégration des immigrants qui viennent s’installer ici. Malmö est apparemment une ville dans laquelle beaucoup d’étrangers viennent s’installer, et le problème du mélange des cultures commence sérieusement à se poser. Peu à peu, les gangs se développent, et quelques fusillades ont récemment beaucoup ému la population. Pourtant, ce n’est pas que Malmö soit plus dangereuse qu’une autre ville. Elle est simplement plus petite, et les « banlieues » sont en fait dans le centre ville. Tous les problèmes de criminalités qui ont lieu ailleurs, mais dans des quartiers à part dans lesquels nous ne mettons jamais les pieds, sont ici beaucoup plus à la vue, du fait de la taille de la ville. Et si Malmö a été érigée au rang de « ville la plus dangereuse de Suède », c’est parce que Stockholm et Göteborg ne prennent pas en comtpe, dans leurs statistiques, tout ce qui se passe dans « leurs » banlieues, qui sont situées en dehors de leur espace géographique. Malmö ne peut pas se payer ce luxe. Pour beaucoup ici, il s’agit aussi d’une manipulation politique véhiculée par les médias, pour ne pas que cette petite ville du sud ne vienne trop empiéter sur les plate bandes des deux autres. Malmö s’est en effet beaucoup développée depuis quinze and et bénéficie d’une vraie effervescence culturelle et diversifiée. Qui a sans doute été renforcée par la construction de l’Oresund, le pont qui relie le Danemark et la Suède, il y a un peu plus de quinze ans maintenant. Moi, je pense que c’est aussi par rapport à l’Eurovision : les trois villes se tirent dans les pattes pour organiser l’émission l’année prochaine. Il y a là un sacré enjeu.

Et puis, entre nous, la ville la plus dangereuse de Suède doit être à peu près au même niveau qu'Issy les Moulineaux.

Après cette soirée, je suis donc rentrée dans ma petite bourgade à moi, avec un train de nuit. Mes habitudes de Parisienne ne m’ont pas beaucoup rassurée lorsque j’ai du traverser les rues de Lund à pied, en pleine nuit et seule. J’ai enfin repéré le trajet le plus simple pour rentrer chez moi, et je dois pour cela traverser le pont qui surplombe la voie ferrée, puis emprunter un petit chemin entouré d’arbres que seuls les piétons ou les cyclistes peuvent emprunter. J’ai mis du Matmatah sur mes oreilles et tout s’est bien passé. Ne posez pas de questions sur le choix de ce groupe. La nostalgie de quelque chose, l’envie d’écouter un truc en français qui me rappellerait mon adolescence. C’était plutôt rafraichissant.

La nuit s’est terminée par l’étrenne de ma clef 3G pour voir Nyamuk. Quarante minutes qui en paraissent dix. Bref, tout se passe bien. 

01/06/2012 : Installation à Väpplingvägen




Première vraie journée de travail aujourd’hui.

Tôt le matin, Birgitta nous a récupérées en voiture, Marian et moi, pour déposer mes affaires à Väpplivägen où j’emménage ce soir. Mes valises jetées dans la chambre, nous nous mettons en route pour le bureau où notre première tache sera d’organiser un déjeuner. Henrik nous rejoint un peu plus tard. L’atmosphère est détendue. Je parle de mes racines arméniennes, et réalise que j’ai oublié le CD que mon cousin m’a ramené de Erevan. 

La journée sera assez calme. J’ai encore beaucoup de détails administratifs à gérer et je personnalise mon ordianteur. L’occasion d’appeler Nyamuk qui me règle un problème de configuration de boite mail en quelques minutes. Je prends connaissance des taches qui vont être les miennes pendant l’année ; normalement, je travaillerai beaucoup avec Henrik à la communication, mais Birgitta veut aussi m’impliquer dans la gestion de l’aspect économique des meetings qui sont organisés deux fois par an. Il y aura aussi des choses à faire avec Mejeriet, notamment pour organiser les événements le soir. Le reste de la journée, je commence doucement à prendre les choses en main. Evidemment, des problèmes informatiques surviennent très vite et je n’aurai pas pu faire grand-chose aujourd’hui.

Comme d’habitude, j’hésite longuement avant d’oser poser une question ou demander quoi faire. La peur de déranger est – j’en ai bien l’impression – doublée à l’étranger, devant des personnes qui ont mis tellement de choses en œuvre pour que je puisse venir ici. Mais je sais que ce n’est qu’une question de temps avant que tout ça devienne plus naturel.

Nous quittons le bureau tôt car Marian a un train pour Göteborg qu’elle ne doit pas rater. J’en profite pour faire quelques magasins en espérant trouver quelques objets de déco afin d’égayer ma chambre, mais ceux qui m’intéressent sont fermés. En sortant d’une librairie où j’ai acheté un agenda, je m’aperçois que le beau soleil que nous avions dix minutes auparavant s’est transformé en une lourde pluie. Les Suédois n’ont pas l’air d’y prêter grande attention, et continuent à marcher tranquillement sous les trombes d’eau. Je découvre donc le climat suédois qui veut que nous puissions vivre les quatre saisons en une journée. Cinq minutes après, le soleil revient.

Je pars faire mes courses au supermarché et manque de fondre en larmes devant la sauce préférée de Nyamuk pour ses pâtes. Mon humeur n’est donc vraisemblablement pas encore stabilisée. Mais après avoir rempli mon sac de quelques produits très basiques, je suis plutôt contente de prendre le chemin de Väpplingvägen. C’est la première fois que je m’installe vraiment quelque part, que j’aménage les choses petit à petit. Et ce soir, j’ai le sentiment de rentrer « chez moi ». Ce qui est sans doute plutôt bon signe.

En arrivant à la maison, je retrouve Philipp avec qui je parle pendant deux bonnes heures. Il m’explique les différentes règles de la maison, de sa vie, de plein de choses. Il habite ici depuis un an et demi et a l’air de s’y plaire. Il m’explique qu’il prépare en ce moment une compétition à Los Angeles, et qu’il y partira. Ensuite, si un agent le repère, il restera probablement là-bas. Autrement, il reviendra peut-être ici. Rien n’est décidé.

J’ai du mal à lui donner un âge ; il parait très jeune mais je ne pense pas qu’il y ait une grande différence entre nous. Il fait en tout cas tout pour me mettre à l’aise, et m’assure que je peux lui poser toutes les questions que je veux. Notamment sur le tri des déchets puisqu’ils ont environ douze mille bacs différents. Je ne savais pas, par exemple, qu’on pouvait faire une différence entre le carton dur et le carton… pas dur. Mais il fait aussi voler en éclat ma perspective de soirée Skype en m’apprenant qu’il n’y a pas Internet dans la maison. Avant, une des étudiantes avait installé une ligne à son nom et la partageait avec tout le monde, mais elle a déménagé, et le modem avec. Mon envie de quitter cet endroit revient plus forte encore. Alors j’appelle Nyamuk en marchant en rond dans le jardin, entre les pommiers et la table en bois pendant quarante minutes. Lui parler me fait du bien, me rends plus forte. Je me rends compte que je ne serais pas venue ici s’il n’avait pas été là, et ce constat me parait paradoxal. M’éloigner de lui est sans doute la chose la plus douloureuse qui puisse m’arriver en ce moment, mais ce n’est que parce qu’il est à mes côtés que j’ai pu partir. Parce que je sens que même en m’éloignant, il y a quelqu’un là-bas qui m’aime et pense à moi. Cette relation m’aura renforcée bien plus que je n’aurais pu l’imaginer. Mais plus tard, alors que j’essaye de m’approprier ma chambre en collant au mur les photos que j’ai pu emmener, quelque chose se fissure. Je me demande comment nous allons tenir – et si nous devenions des étrangers ? Nous ne sommes séparés que depuis trois jours, et il me semble déjà si irréel.

Je ne suis pourtant pas désespérée, je ne veux pas rentrer à Paris. Mais je suis encore dans cette phase d’incertitude où je ne sais pas si je serai heureuse ici. Une minute, je me dis que c’était ce que j’attendais depuis des années, que c’est excitant, que tout va bien se passer. La minute d’après, je suis au bord d’acheter des billets Ryanair pour rentrer en France. Il n’y a rien de vraiment douloureux cela dit. J’imagine que ce n’est qu’une question d’ajustement à une nouvelle vie.

Je passe ma soirée à écrire, avec en fond sonore Philipp qui joue à des jeux sur sa Xbox.
J’essaye de prendre les choses les unes après les autres.
Me souviens que j’ai atteint un objectif après lequel je cours depuis longtemps et qu’il ne faut pas perdre ça de vue.

Et mon prochain objectif sera sans doute de réussir ce challenge, sans perdre Nyamuk. 

31/05/2012 : La maison aux deux pommiers




Aujourd’hui fut un grand jour, puisque j’ai découvert la maison qui m’avait été choisie. 

Le soir, après avoir passé une petite journée de travail à découvrir le fonctionnement du site Internet et les différents bureaux de Mejeriet, je me suis rendue à pied jusqu’à Väpplivägen. Pour ça, j’ai traversé la voie ferrée, suis passée près de cette fameuse auberge où j’avais séjourné l’année dernière, suis passée devant une usine « Tetra Brick » et ai marché, marché, marché.

 C’est Oscar qui m’a ouvert la porte, et c’est sa chambre que je vais récupérer. Elle est située au rez-de-chaussée d’une maison d’un étage avec, à l’arrière, un magnifique jardin au milieu duquel tronent deux pommiers. La maison en elle-même est vieille, mais ressemble aux standards auxquels je m’attendais : parquet clair, murs blancs et salon cosy. La chambre par contre est plus petite que ce que je pensais, et un peu déprimante au premier coup d’œil, parce qu’entièrement vide. Mais elle me rappelle un peu celle dans laquelle Zabou  vivait en Islande. Bon ou mauvais signe, je ne sais pas trop.

Berit, la propriétaire, me fait faire le tour de la maison. Au rez-de-chaussée, il y a aussi la chambre de Philipp, un apprenti danseur / chanteur / acteur, la cuisine et la salle de bain. A l’étage, deux autres chambres avec des colocs pas encore rencontrés. Berit et moi nous asseyons autour d’une table. Elle me donne les clefs et me traduit le règlement intérieur. Je tique sur le fait que je ne puisse pas héberger d’autres personnes. J’aurai le droit d’accueillir des amis pendant quelques jours, mais je comprends rapidement que le séjour d’un mois de Nyamuk prévu pour septembre semble compromis ici. Automatiquement, je me mets à détester cet endroit.

Je repars en direction du centre ville un peu dépitée et comprends en parlant avec ma mère que je vais probablement devoir me mettre en quête d’une autre chambre assez rapidement. Je reviens presque paniquée dans la maison de Marian, et lui explique pendant plusieurs minutes que je ne veux pas paraitre ingrate, mais qu’il me faut Nyamuk près de moi, et qu’il va me falloir trouver une autre place. Marian me rassure, me soutiens que je fais ce que je veux avec le loyer qu’ils me donnent et que personne ne sera vexé. Qu’il s’agit de ma vie, et que c’est à moi de la gérer. Mais je comprends aussi qu’il ne sera peut-être pas simple de trouver un autre logement dans une ville étudiante où toutes les maisons sont prises d’assaut. Suite au prochain épisode...

Je m’endors après une autre longue discussion avec Nyamuk pendant laquelle je n’ai pas pleuré, cette fois. \o/

30/05/2012 : Le vol le plus long du monde.


Cette fois, ça y est.

Je n’étais pas sûre que ça arriverait un jour, mais je suis maintenant en Suède. Je vais donc travailler pour le réseau TransEuropeHalles pendant un an, et cette idée me semble encore surréaliste.

Je suis partie mercredi 30 mai, de l’aéroport Charles de Gaulle – Terminal 1. Mes parents m’ont conduite là-bas avec Nyamuk. Après avoir enregistré mes bagages, nous sommes allés prendre un café au Starbucks mais je n’ai rien pu boire ni avaler. Toute la nuit, j’avais pleuré, et encore le matin. Quand le moment des adieux est arrivé, nous avons tous craqué. Ma mère m’a fait promettre de revenir, et je leur ai demandé en retour de ne pas déprimer sans moi. Et puis, il a fallu embrasser Nyamuk pour la dernière fois avant un moment. Je lui ai demandé de me sourire en partant. Mais en montant sur le tapis roulant qui me menait au premier étage du terminal, je l’ai soudain vu s’écrouler sur l’épaule de ma mère, et je me suis sentie me briser en milliers de morceaux sur le sol, comme un objet qu’on aurait jeté violemment par terre.

Arrivée dans l’avion, j’ai senti que le stewart me regardait avec un peu d’inquiétude, moi et mes yeux rougis par tout ça. A peine assise sur mon siège – le 17 F – j’ai mis du Patrick Watson dans les oreilles, peut-être parce que je sentais que Nyamuk ferait la même chose. Et puis du Maia Hirasawa pour me rappeler pourquoi je voulais partir là-bas. En réalité, je ne sais plus bien pourquoi. J’ai toujours voulu avoir cette expérience, partir à l’étranger. J’y sentais quelque chose d’exaltant et ce pays m’attirait. Les deux voyages que j’y avais déjà faits m’avaient plu. Il me semblait qu’il y avait quelque chose de plus doux, de plus lumineux. Et puis il y avait le challenge. L’envie de vivre quelque chose d’unique. Mais je ne pensais pas que tout cela tomberait au moment même où l’une des plus belles choses qui me soient arrivées entrait dans ma vie.

Ce vol a été le plus long jamais vécu. Même les vingt heures de vol pour Bali, c'était rien à côté. Je suis passée d’une seconde à l’autre d’une profonde tristesse, à une semi excitation, avant de douter et de sombrer dans la panique la plus totale au point de vouloir faire demi tour immédiatement.

Je ne peux pas dire quels étaient mes sentiments quand j’ai atterri à Copenhague. Je ne pleurais plus et agissais plutôt méthodiquement. Mais dès que j’ai entendu la voix de Nyamuk au bout du fil, en attendant que ma valise apparaisse sur le tapis roulant, la fontaine lacrymale s’est remise en route. Et à nouveau, le vendeur auquel j’achetais une bouteille d’eau dans une petite boutique de l’aéroport m’a regardée avec une sorte de compassion.

Et puis dans le train de l’Oresund, le pont qui relie le Danemark à la Suède, en voyant la mer et les paysages nordiques, je me suis souvenue pourquoi j’aimais ce pays. Je ne saurais pas mettre des mot dessus. De l’air, du vent. Quelque chose de libre. Un endroit où je pourrai peut-être calmer le tourbillon dans lequel j’ai constamment l’impression d’être prise à Paris.

Je suis arrivée à Lund en écoutant Vincent Vincent and the Villains, « On my own », comme je l’avais fait à San Francisco. Birgitta est venue me chercher à la gare et je suis montée dans sa vieille Volvo vert foncé. J’étais encore un peu sonnée mais arrivais malgré tout à suivre ce qu’elle me disait. Nous sommes allées directement au bureau TransEuropeHalles, situé dans les locaux de Mejeriet. Mejeriet est un centre culturel doté d’une salle de concert, de cinéma et d’un espace en plein air dans lequel des projections et des fêtes sont organisées. On y trouve aussi des studios de répétition et un petit théâtre que je n’ai pas encore pu voir. Plusieurs associations cohabitent ici, de cinéma, de théâtre, et puis nous.

En guise d’accueil, Birgitta et Marian m’ont organisé une « fika ». Une petite collation courante ici en Suède. Du café, des sandwichs avec  du fromage, des fruits, des crudités. Maja, qui travaille pour le cinéma de Mejeriet nous a aussi rejoints, et puis Henrik, le nouveau chargé de communication de TransEuropeHalles qui partage son temps avec le théâtre qui travaille aussi dans nos locaux.Nous avons évoqué quelques détails pratiques, avant que Birgitta m’emmène en voiture chez Marian. 

Marian vit entre Göteborg et Lund. Sa maison est là bas, avec son ami et l’enfant qu’elle attend de lui. Mais elle loue aussi une chambre dans un grand appartement de Lund, pour les quelques jours qu’elle passe ici. C’est elle qui m’hébergera les premiers soirs, tant que ma chambre dans la maison que l’équipe m’a trouvée n’est pas libérée.

Une fois mes affaires déposées, Marian se remet en route pour aller à un cours de gym... qui n'est autre que de la gym suédoise ! Je pensais que c'était une espèce de concept marketing monté de toute pièce, mais non. On peut donc faire ici de la "gympa" qui ressemble en tout points à ce qu'on fait à Paris. Le prof au centre, les baskets, la musique "pump it up". Dès que je suis mieux installée, je m'inscris, obligée.

De mon côté, je pars directement au magazin de téléphone pour espérer avoir un smartphone qui me permettrait de communiquer plus facilement avec le monde. J’y apprends que je ne peux pas avoir d’abonnement tant que je n’a pas de numéro d’identification en Suède. Et que mon numéro provisoire ne suffira d’ailleurs peut-être pas…  Première difficulté. Comme quoi, je ne voulais pas avoir ces créatures de l'Enfer avec moi, et au moment où je craque, c'est le Diable qui ne veut pas de moi. Super.

Un peu dépitée, je fais un saut à la maison et repars avec mon ordinateur squatter la terrasse du Herkules, où j’avais bu des bières l’année dernière avec un cycliste rencontré dans l’auberge de jeunesse dans laquelle je dormais. J’avais passé deux nuits à Lund, dans cette auberge installée dans un train ancien abandonné près de la gare. Il y avait très peu de monde, et j’avais fait la connaissance de ce jeune homme dont j’ai complètement oublié le nom, et puis d’une Italienne qui venait s’installer en Suède pour exercer comme dentiste. Nous avions bu des coups en regardant de loin un groupe de chants traditionnels jouer sous la pluie devant une foule déchainée de cinq personnes. Le lendemain, nous étions revenus ici sans la dentiste, et avions fini par quitter le bar en volant les verres pour les finir sur la route. En rentrant, il m’avait proposé de passer la nuit avec lui. Proposition poliment déclinée cela dit. Mais comme il a dit « ça valait le coup d’essayer ». Sur des couchettes qui font la taille d'une demie personne, faut être optimiste quand même.

Je me suis donc retrouvée sur cette terrasse, à boire une bière en solo devant mon ordinateur. Je voulais parler à Nyamuk, mais il n’était pas disponible. Je n’ai pu échanger que quelques mots avec Matthieu, le temps de lui dire que j’étais dévastée. Je suis ensuite allée au supermarché acheter un plat tout préparé de boulgour avec du saumon. En marchant dans les rues, je me suis souvenue à quel point j’avais aimé cette ville en la visiant l’année dernière. Ses grandes rues pavées, bordées de petites maisons. Ses magasins vintage, ses petits cafés. Les grands parcs et le jardin botanique. L’impression de respirer, de voir le ciel, d’avoir de la place. Après vingt-cinq ans à Paris, je crois que j’avais besoin d’un peu d’espace pour m’épanouir.

J’ai enfin pu parler à Nyamuk, plus tard dans la soirée. Les larmes sont revenues, bien sûr, mais je reste confiante. J’ai commencé à barrer les jours sur le calendrier jusqu’au jeudi 23 août, date des retrouvailles.

Marian s’est couchée très tôt, alors je l’ai suivie. Je pensais ne jamais m’endormir, vues mes habitudes plutôt tardives, mais j’ai eu recours à ma bonne vieille technique de me raconter des histoires, et le problème a été réglé.