mardi 28 mars 2017

04.02.2016 : Peur panique à Ho Chi Minh


* L'avion canard, valeur sûre de l'aviation thaï *

Je suis arrivée à Ho Chi Minh avec la gueule de bois. Le whisky birman avait eu raison de mon cerveau et la nuit passée couchée sur le sol du vieil aéroport de Bangkok, pour attendre ma correspondance pendant près de dix heures, n'avait pas aidé à régénérer mes neurones. Et, en plus de la gueule de bois, j'avais dans ma tête pas mal d'appréhensions. Je ne savais pas trop à quoi m'attendre au Vietnam : certains avaient adoré et considéraient ce pays comme leur endroit préféré en Asie du Sud Est. D'autres avaient subi les pires arnaques et en étaient partis avec un goût amer. Tout le monde s'accordait sur un point : au Vietnam, encore plus qu'ailleurs, mieux valait être sur ses gardes pour ne pas se faire avoir.

Mais la fatigue ne rend pas des plus patients. Après avoir constaté qu'aucun distributeur d'argent ne marchait (« C'est fait exprès », me disait la voix grognon dans ma tête), je me suis dirigée vers la file de la compagnie taxi recommandée sur les sites que j'avais consultés et j'avais donné l'adresse de l'auberge de jeunesse où étaient Casey, Luc et Vince, que je devais rejoindre.

Le chauffeur ne parlait pas anglais, mais je m'étais mise d'accord avec celui qui gérait l'agence à l'aéroport : dix dollars pour rejoindre le centre ville et être déposée à l'hôtel. Je me suis assise à l'arrière et me suis laissée guider.

Étonnamment, aucune image ne m'est restée de ce trajet jusqu'au centre-ville. La fatigue l'avait peut-être emporté. Je crois, surtout, que je me sentais déboussolée. Le passage brutal du Myanmar au Vietnam avait quelque chose de surréaliste. Et cette impression s'est encore confirmée en arrivant à Ho Chi Minh : les rues, larges, propres, étaient bordées de hauts immeubles, parfois des tours, en haut desquelles des rooftops encore vides se remettaient des soirées de la veille. Nous roulions devant des jardins fleuris aux pelouses bien taillées, des magasins aux vitrines fournies, des restaurants aux terrasses remplies de touristes. Derrière la vitre qui me servait d'écran, j'avais l'impression de découvrir un nouveau monde, presque une fiction. C'en était presque un, d'ailleurs. Mais les semaines passées dans la poussière ocre et les bus de nuit birmans renforçaient ce contraste, d'un monde à l'autre.

Le chauffeur semblait tourner en rond. Il agitait ses mains, comme s'il chantait la chanson « Ainsi font, font, font » mais j'ai fini par comprendre qu'il ne s'agissait pas d'un geste amical. Il était perdu. Il commençait à s'énerver, me répétant toujours les mêmes mots en vietnamien, pointant l'adresse que je lui avais donnée, montrant la carte. Son impatience augmentait et se traduisait en une irritabilité grandissante. Une agressivité que je n'avais jamais rencontrée, depuis le début de mon voyage, et qui faisait réapparaître une boule d'angoisse, au fond du ventre, dont j'avais oublié la sensation depuis plusieurs mois.

Le chauffeur s'excitait de plus en plus. À plusieurs reprises, je lui ai dit que je pouvais descendre, continuer à pied, mais il ne m'écoutait pas. Alors, j'ai fini, moi aussi, par m'énerver. « Je veux descendre maintenant », je lui ai dit. Il a arrêté la voiture. Mon sac à dos était dans le coffre, alors je suis sortie de la voiture avant de lui tendre mon billet de dix dollars. Une fois mes affaires récupérées, je le lui ai donné. Évidemment, mon chauffeur savait soudain parler anglais. « J'ai tourné longtemps, vingt dollars ». La violence du ton qu'il prenait, son langage corporel, sa voix qui criait presque : j'ai senti les tremblements revenir, la peur panique que cet homme, devenu mon ennemi, ne me tue là, sur la place publique, aux yeux de tous. Je lui ai mis le billet dans la main. « Non, on avait dit dix dollars ». Et puis, j'ai commencé à marcher. Il hurlait derrière moi, je m'imaginais qu'il essayait de rameuter ses potes pour me tomber dessus et m'étriper sur le trottoir. Mes jambes étaient en coton, j'arrivais à peine à respirer. Je me suis dirigée vers un hôtel, et je suis rentrée dans le hall.

Évidemment, il ne m'a ni suivie, ni tenté de m'assassiner en pleine rue. Il est remonté dans sa voiture, et puis il est parti. La réceptionniste de l'hôtel m'a donné une carte, et j'ai marché jusqu'à l'auberge, qui se trouvait dans une petite ruelle, cachée derrière les immeubles du grand boulevard qu'un marché aux fleurs coupait en son milieu. Il était encore tôt. Dans la chambre, tout le monde dormait. Tout était calme. Silencieux. Comme si je rentrais dans un cocon de douceur après de trop longues heures d'agression sonore. Je me suis allongée et mon ventre s'est dénoué. Je respirais de nouveau.