vendredi 19 avril 2013

03.04.2013 : Comment Oslo m'a harponnée au moment où je m'y attendais le moins.




* Vue sur le fjord *

Pour le week-end de Pâques, je suis partie à Oslo avec Nadège et Alexandre. Oslo, finalement, ce n’est pas si loin de Lund : moins de six heures de route. Alors, quand nous avons réalisé ça, nous avons embarqué dans la voiture de Nadège et roulé jusqu’en Norvège.

J’avais une idée d’Oslo très… norvégienne. J’imaginais une ville plutôt petite et très verte, avec des maisons au toit rouge contrastant avec le bleu du fjord. Une sorte de Reykjavik en plus grand, en somme.

Eh bien pas du tout. Nous sommes arrivés dans une ville presque entière en travaux, hérissée de hautes tours à l’architecture hétérogène, qui mélange sans complexe des bâtiments massifs d’allure communiste et des quartiers ultra modernes qui vous balancent dans le futur. Notre première ballade était justement typique de ce drôle d’assemblage. De notre hôtel, nous avons marché vers la citadelle médiévale désertée, où des militaires en mitraillette s’occupent de monter et descendre le drapeau national. Ici, nos avions vue sur une partie du fjord, coloré par le soleil couchant. En longeant la citadelle, nous avons atteint l’énorme hôtel de ville qui n’a vraiment rien à envier à l’ère stalinienne : un énorme cube de briques rouges devant lequel une statue gigantesque fait face au port comme si elle haranguait la foule. Soit. Nous avons poursuivi notre chemin sur le port qui se prolonge en une promenade en bois bordée de restaurants et de cafés branchés. Avec un peu de soleil et de chaleur en plus, on pourrait presque se croire à Cannes. Nous avons marché le long de l’eau jusqu’à quitter les « boum boum » de la musique pour jeunes pour être tout à coup plongés dans le noir et le silence, au bout de la jetée. Autour de nous, des immeubles aux allures futuristes nous donnaient presque l’impression d’être dans un filme de science fiction.

Cette ballade à travers les rues et les âges nous a donné un bon aperçu de la diversité de la capitale qui m’a intéressée mais assez peu émue. Oslo ressemble à une ville sans passé. Peut-être parce qu’il s’agit d’une ville à l’identité finalement assez neuve. L’indépendance totale de la Norvège, sous domination danoise depuis le XVème siècle, ne date que du XIXème siècle, et le pays est resté lié à la couronne suédoise jusqu’en 1904. Pire, Oslo n’est devenue Oslo qu’en 1945 : elle était auparavant appelée Christiania, en l’honneur du roi du Danemark, Chrsistian IV. Et ce n’est qu’en 1945 que la ville décide de faire table rase du passé pour affirmer sa propre identité et reprendre son nom d’origine, Oslo, « la terre des dieux » en vieux norvégien. Oslo, finalement, n’en est presque qu’à son adolescence, et son esprit semble encore incertain, vacillant. Le quartier de Grünerlokka, par exemple, est certes très mignon avec ses petits cafés aux terrasses bondées dès les premiers rayons de soleil… mais il suffit de s’en éloigner de quelques mètres pour ne plus en ressentir l’atmosphère.

Plus ou moins convaincue que je ne tomberai pas amoureuse d’Oslo, je me suis dit que je pourrais au moins en avoir une approche plus… intellectuelle vue la richesse culturelle de la capitale. Et des choses intéressantes, il y en a à voir ! Il y  a  l’opéra, posé sur l’eau du fjord, inauguré en 2008 et qui a remporté le Prix de l’Union Européenne pour l’architecture en 2009, il y a Holmenkollen, le tremplin de saut à ski, l’un des plus vieux tremplins du monde, il y a l’incroyable parc de sculptures de Viegeland, qui raconte une vie entière par des statues massives aux formes rondes, les galeries nationales et leur riche collection d’art moderne, … il y a tout ça mais ce n’était pas vraiment ce que j’étais venue chercher.


* L'opéra d'Oslo *


* Une statue du parc de sculptures de Vigeland *


* La piste de saut à ski *

Alors,  le deuxième jour,  j’ai quitté mes acolytes, direction le musée Munch qui n’a de Munch que le nom et quelques tableaux du peintre. Le reste de la collection propose une rétrospective des peintres nordiques tout au long du XXème siècle. Cela faisait pas mal de temps que je n’avais pas mis les pieds dans un musée et surtout, il me semble bien que je n’avais jamais vu de Munch en face à face. Et dès le premier tableau, son génie m’a embrochée le cœur.

Dans « Golgotha », j’ai vu dans les traits empressés du tableau une fureur de vivre qui m’a prise à la gorge, une véritable course contre la mort. J’ai vu dans « Puberté » les sensations et la honte qui éclaboussent la toile, explosent dans les couleurs. J’ai vu aussi le refus radical du prosaïque, de l’anecdote, du fait mineur pour donner toute sa place à ce qui compte réellement. Prosaïque qui vient au contraire gâcher pour moi les tableaux de Ludvig Karsten, où les assiettes sont beaucoup trop présentes dans « From my blue kitchen », où les maisons sont trop dessinées et les visages trop identifiables, emprisonnant l’imaginaire dans une histoire du quotidien. Dans la peinture de Munch, au contraire, il y a des sentiments bruts, assoiffés de liberté, qui se laissent prendre par celui qui les regarde. Ces tableaux ne me racontent pas d’histoire, c’est moi qui en m’immergeant en eux reconstruis mon propre monde, réécris le conte avec mes propres émotions. Face à eux, je me suis sentie terriblement vivante. Je sentais avec effroi et bonheur des sentiments bouger à l’intérieur de moi, comme dans la peinture de Francis Bacon, ou devant « In Flux / Desire » d’Arnr Ekeland, aussi exposé dans le musée Munch, et qui peint sur les corps ce désir de vivre et d’échappée dévorant qui brûle la peau et étire les muscles.

Dans ces périodes de trouble et de trop, j’ai parfois tendance à oublier ces sensations qui circulent. Et soudain, elles me reviennent en pleine face, en un tourbillon d’envies  d’horizons lointains et d’ailleurs, de vie plus exaltante, et d’évasion de ces prisons dont nous avons-nous-mêmes jeté la clef. Je ressors rarement indemne de ces raz-de-marée. J’embarque alors souvent sur un bateau inconnu à la destination incertaine avec le vent du grand large dans la tronche. Ou bien j’accroche à mes pieds des boulets pour me tenir tranquille encore un moment, et je sens tout mon corps se révolter contre l’étouffement.

Quelques pas plus loin, dans ce même musée, je suis tombée sur « Harbour » d’Axel Olson, tableau surréaliste que je ne connaissais pas. Une peinture qui disait tout. La mort de ceux qui restent à quai. L’angoissant inconnu de ceux qui le quittent.

Ce tableau ma poursuivie tout le temps restant de notre séjour à Olso. J’avais dans la tête l’image de l’ancre marine et de son paradoxe, l’iode et le sentiment de voyage qui en émane tout en servant justement à stopper la navigation.


* Le port de Drobak *

Le lendemain, justement, nous avons quitté Oslo pour un petit village au bord du fjord, Drobak. Un port pour lequel le mot « mignon » semble avoir été inventé. Nous avons regardé la mer, mangé de succulents gâteaux dans un café qui ressemblait à une maison pour troll, et je me sentais libérée d’un poids. Je savais que ça n’allait pas durer. Mais ces moments me font me souvenir de ce que je veux et de ce dont je ne veux pas. Avec toutes ces nouveautés en ce moment, j’ai tendance à oublier, et ce sont des boules de larmes qui viennent parfois me le rappeler. Il va falloir que je me rafraichisse la mémoire avant que mes boulets ne me fassent toucher le fond. 




01.04.2013 : Entre deux rives.




Ca faisait un petit moment que je n’avais pas écrit ici. Il faut dire que je suis passée sur la seconde pente de mon expérience en Suède, en quelque sorte : de la découverte à la routine. En février, je me promenais dans les rues de Lund, et je me suis tout d’un coup sentie à la maison. Les rues étaient familières, j’avais mes habitudes, mes horaires, mes endroits préférés. Je me levais le matin pour aller travailler, sortais le soir, allais à la salle de sport, retrouvais mes amis le week-end. J’avais fêté mon anniversaire avec Nadège, une grande fête avec plein de copains, de la musique, de la danse. Finalement, la vie de tous les jours s’était réinstallée sans trop m’en rendre compte. Je suis pourtant rentrée à plusieurs reprises en France depuis le début de l’année, bien plus régulièrement qu’en 2012. Mais cette fois, c’était comme être passée de l’autre côté du miroir. Les quelques jours à Paris n’avaient plus leur saveur routinière. Ils étaient une espèce d’entre deux bizarre dans lequel je me sentais étrangère dans un milieu familier. Mes amis étaient toujours mes amis, mon appartement toujours mon appartement, ma famille toujours ma famille. Mais moi, je n’étais plus la même, et personne ne semblait vraiment s’en rendre compte. J’ai senti des petits changements. Des choses qui avaient énormément d’importance auparavant qui ne signifiaient à présent plus rien. Et au contraire, des détails anodins qui cette fois me devenaient capitaux.

Cette période de transition n’est pas simple, il faut l’avouer. Redécouvrir son ancienne vie tout en s’habituant à la nouvelle. J’ai l’impression, en ce moment, d’être constamment entre deux rives, entre deux vies, et de ne plus savoir laquelle passe en premier. En Suède, je compte souvent les jours qui me séparent de mes vols vers la France, comme on s’impatiente des vacances ou d’un prochain voyage. A Paris, je me tortille dans une vie qui n’a pas changé mais dont je me sens de plus en plus étrangère. Difficile de trouver la paix de l’esprit dans ces conditions, de se focaliser sur un chemin. J’ai peur de me perdre en route, et de finir par ne profiter ni de l’une ni de l’autre. La seule constante dans ces allers-retours, c’est Nyamuk. Qui fait le lien entre ces deux vies qui se construisent en parallèle. Ca, ça ne change pas.

J’ai passé le week-end de Pâques à Oslo, avec deux amis français rencontrés ici. Sur le chemin du retour, assise sur la banquette arrière, je regardais vaguement le paysage par la fenêtre. Le soleil brillait fort, je sentais la chaleur des rayons sur mon visage, une chaleur que je n’avais pas ressentie depuis longtemps et que j’attendais avec impatience durant le long hiver suédois. Je ne sais plus quelle chanson passait à ce moment à la radio, mais je me suis soudain souvenue à quel point j’aurais tout donné il y a deux ans à peine pour être à cet endroit précis. Je devais alors être dans un train entre Stockholm et Göteborg, ou entre Lund et Falkenberg, un grand sac de randonneur à mes pieds. Je regardais ce même paysage, calmement, sereinement, en me disant que oui, il fallait absolument que je vienne vivre ici. Ce pays m’appelait pour une raison que je ne connais pas encore. J’aimais ce relief plat sur lequel l’œil peut se perdre loin, cette lumière douce, légère, le temps qui s’écoulait différemment. C’était un rêve qui me paraissait loin. Et cette fois, dans cette voiture qui me ramenait à Lund, je me suis rendue compte – à nouveau peut-être – que c’était bon. C’était fait. J’aimerais pouvoir parler à mon moi du passé pour lui dire de patienter, que ça viendra. Ce sont pour des moments comme ça que j’aimerais ne pas perdre la trace de l’émerveillement, de ne pas me tirailler constamment entre l’attente du retour en France et toute une vie à construire ici. 

Quand je marchais dans les rues de Lund en février en me sentant à la maison, j’ai aussi réalisé que le jour où je ferai mes valises pour quitter la Suède, ce sera, à priori, pour de bon. Lorsque j’ai pris l’avion à Charles de Gaulle pour m’installer à Lund, je savais que je reviendrai. Mais quand je quitterai Lund ? Je quitterai ce grand appartement qui donne sur les champs, je quitterai ce groupe d’amis qui s’éclatera de lui-même à travers l’Europe, je quitterai les rues pavées, les petits cafés bas de plafond, je quitterai Stadsparken et ses canards, les routes encombrées de vélo. Je quitterai toutes ces choses que je n’ai pas envie de quitter maintenant, et auxquelles je reste pourtant constamment infidèle en gardant un œil sur mes prochains billets d’avion vers la France.

Ce dont j’ai peur, c’est de devoir un jour faire un choix. Le pire étant de ne pas le faire, et de rester constamment entre deux pays, entre deux vies, entre deux rives.