vendredi 4 décembre 2015

20-29.11.2015 : Chiang Mai part.1 - Thanksgiving & Namasté


Et puis, je suis enfin arrivée à Chiang Mai. J'y ai rejoint plusieurs personnes : mes Autrichiens, mais aussi Carolyne et Jennifer, deux Américaines, et Brayden, un Australien, tous rencontrés à Kanchanaburi. Pendant dix jours, le Great Chiang Mai Hostel est devenu notre maison, une auberge qui vient d'ouvrir, flambant neuve, et idéalement située juste à côté de la vieille ville. Le personnel était charmant, et j'ai presque versé ma petite larme en partant.

Il y aura beaucoup de choses à dire sur Chiang Mai, mais je voudrais commencer par Thanksgiving. Il y avait plusieurs Américains dans l'hôtel, et célébrer cette fête tous ensemble semblait important à leurs yeux. Alors nous sommes tous allés dîner dans un restaurant italien qui nous a annoncé, après 40 minutes d'attente, qu'il n'y avait plus de pizzas et la soirée s'est terminée en semi-dispute avec le patron. Il paraît que c'est toujours comme ça, pour Thanksgiving. Du coup, nous n'avons pas fait le traditionnel tour de table pour savoir à qui nous aimerions adresser nos remerciements.

Mais je voudrais quand même le faire maintenant.

Je voudrais d'abord remercier Florian, qui m'a remonté le moral à la Tavee Guest House, à Bangkok, quand j'ai raté mon train de nuit pour Chiang Mai à cause d'embouteillages monstrueux, et que j'ai du passer une soirée forcée dans cette ville qui, décidément, continue de me maltraiter. Il était là avec sa petite amie, Mélissa, ils arrivaient à la fin de leur voyage en Thaïlande. Alors que je commençais à paniquer sur ma volonté de continuer, de voyager seule, loin, d'être confrontée à tout un tas de difficultés que, peut-être, je n'arriverai pas à surmonter, Florian m'a simplement dit : « Ce n'est que le début de ton voyage. Prends les choses les unes après les autres. Tu es venue ici pour une raison, pour trouver quelque chose. Alors cherche, trouve ce que tu es venue chercher, et tu rentreras après. » Je suis partie me coucher apaisée. Alors, voilà, merci, Florian. J'espère que vous êtes bien rentrés.

Je voudrais aussi remercier Neil. Dès mon premier jour à Chiang Mai, je suis allée au Wat Suan Dok, un temple qui héberge la Bouddhist Academy. Dans les jardins du temple, des moines sont là, assis autour de tables en bois. Il suffit de s'y asseoir et de leur poser les questions qu'on veut. Je suis arrivée, toujours un peu déboussolée, avec la conviction que ce moine, assis en face de moi, allait me donner des réponses à des questions que je n'avais pas. Il a évidemment eu l'air bien embêté quand j'ai commencé à verser quelques larmes, sans pouvoir lui dire la raison. C'est finalement Neil, grand Britannique baraqué d'une cinquantaine d'années, bras tatoués et crâne rasé, qui est venu à ma rescousse.

« Tu veux qu'on discute un peu tout les deux ? »
« Heu... »
« Viens, je vois que tu as besoin de parler. »

Neil a été policier, puis il a travaillé dans la sécurité. Et un jour, il a découvert le bouddhisme. Aujourd'hui, il vit la plupart du temps à Chiang Mai et apprend l'anglais aux moines qui sont dans ce temple. Lui aussi veut devenir moine. Il est là pour étudier.

J'ai commencé à expliquer à Neil à quel point j'avais peur, une peur indéfinissable, qui ne visait pas d'objet en particulier, mais là, omniprésente. Et puis, j'ai parlé des attaques à Paris. Et pour la première fois depuis ce vendredi-là, j'ai pleuré, pour de vrai, et je me suis sentie soulagée d'un poids énorme. Neil essayait de me réconforter. « Don't worry sweetheart, don't worry little thing. » Et puis, il m'a dit : « Tu ne peux rien faire contre ces terroristes. Mais tu ne peux pas les laisser avoir ta peur. Tu ne peux pas les laisser avoir tes larmes. Si tu as peur, ils ont gagné. Alors maintenant, ris, danse, bois un peu d'alcool et fais ce que tu dois faire ici. » Et mon sourire est revenu.


* Au Wat Suan Dok *

Je voudrais remercier mon chauffeur de tuk-tuk qui m'a emmenée au Wat Umong, à une vingtaine de minutes du centre de Chiang Mai, où je suis allée pour me renseigner sur les retraites de méditation. Après avoir eu les informations que je voulais, je l'ai cherché dans les immenses jardins du site. Je l'ai retrouvé à l'entrée de ce temple si particulier, dont les galeries sont comme creusées dans la roche. Il m'a montré l'entrée. Je l'ai retrouvé ensuite devant l'autel où il faisait sa prière. Il m'a invitée en silence à m'asseoir à côté de lui. Et puis, toujours sans un mot, il m'a donné de l'encens, m'a montré comment faire, et c'est ensemble que nous nous sommes recueillis devant la petite statue du Bouddha. Il m'a ensuite entraînée vers un grand bassin et a acheté du pain pour que je puisse le lancer aux énormes poissons chats qui se jettent en masse sur la moindre miette qui touche la surface de l'eau, provoquant un impressionnant bouillonnement de nageoires et de moustache dans le bassin. Il ne parlait pas du tout anglais mais il a essayé de m'apprendre des mots en thaï. Et puis, avant de me ramener à mon hôtel, il m'a emmenée avec son tuk-tuk faire un tour du grand campus universitaire de Chiang Mai, et de certains quartiers de la ville que je ne connaissais pas. Tout ça, sans un autre mot que son sourire, et sans rien demander de plus.


* Les poissons chats du Wat Umong* 

Je voudrais remercier Mucki, pour son rire contagieux autour des buckets de long island au Yellow Corner, ce bar en plein air qui se remplit de touristes et de locaux au son de musique boum-boum. Je voudrais remercier Bennie pour la danse, et Carissa pour cette superbe chorégraphie devant un ventilateur sur une reprise de « My heart will go on ».

Et puis enfin, je voudrais remercier quelqu'un que je ne remercie jamais. Et tant pis si ça fait prétentieux, mais je voudrais me remercier moi-même. Nous roulions avec Brayden, au retour du grand canyon, une ancienne carrière dans laquelle il est maintenant possible de se baigner. Le soleil était en train de se coucher derrière l'ombre des montagnes qui découpaient le ciel en une frise rose et pointue. Je retrouvais cette sensation de liberté, assise à l'arrière du scooter, à n'avoir rien d'autre à faire que regarder le paysage défiler. J'ai réalisé que ce moment de calme, ces sensations, je les connaissais déjà. Elles étaient déjà là, il y avait déjà tout ça en moi. J'ai ressenti l'espace d'une seconde que ce que j'étais venue chercher ne se trouve pas en Thaïlande, ni au Laos, ni au Cambodge, ni en Indonésie. Tout ce que je cherche se trouve déjà à l'intérieur de moi. Il faut juste tout dépoussiérer. Quelques jours plus tard, pendant que Carolyne et Jennifer attendaient pour se faire un tatouage au bambou, je me suis échappée pour retourner au Wat Suan Dok, où j'avais rencontré Neil. Les moines étaient en plein chant dans le temple, et je me suis assise pour les écouter. En les regardant, je me suis rappelée qu'ils n'étaient pas en train de vénérer un Dieu. Il 'n'y en a pas dans la bouddhisme. Ils étaient en train de « vénérer le divin » en chacun de nous. Ils ne cherchaient pas à ce qu'on leur donne les réponses. Ils les cherchaient en eux-mêmes. J'imagine que c'est aussi ce qu'il me reste à faire.


Alors namasté à tous et joyeux Thanksgiving.


* Au grand canyon *








lundi 30 novembre 2015

16-18.11.2015 : Kanchanaburi : Smile and simply let go


* Dans le parc national Erawan *

J'ai finalement suivi les Autrichiens rencontrés à Ayutthaya à Kanchanaburi. Ce n'était pas du tout dans mes plans, j'avais plutôt prévu d'aller à Sukhothaï. Mais je ne voulais pas être seule, et ils m'ont proposé de les accompagner.

Kanchanaburi, c'est surtout le pont de la rivière Kwaï et la « Voie ferrée de la mort ». En 1942, en pleine Seconde Guerre Mondiale, les Japonais se lancent dans le projet de construire une gigantesque ligne de chemin de fer qui doit relier Bangkok à Rangoun en Birmanie. Et ce sont les travailleurs forcés et des prisonniers de guerre qui vont devoir bâtir les 415 km de voie ferrée qui séparent les deux villes. Le projet, qui devait être achevé en trois ans, sera en fait finalisé en un an et demi, ce qui laisse imaginer les conditions de « travail » de tous ceux qui y mirent leurs mains, et dont plus de la moitié sont – comme c'est étonnant – morts.

Aujourd'hui, à Kanchanaburi, le passif un peu glauque du fameux pont au-dessus de la rivière Kwaï ne transparaît pas. Il faut sans doute aller dans les musées prévus pour ça, mais je les ai personnellement évités. Sur le pont, les touristes marchent sur les énormes rails. Parfois, un train qui fait plus ou moins le tour de la ville traverse tout doucement la rivière – alors on se pousse sur les plateformes prévues à cet effet. Autour, il y a quelques magasins, et au bord de la rivière, des restaurants illuminés la nuit, qui ressemblent à des petites lucioles, vues d'en haut. Evidemment, les prix y sont plus chers pour une nourriture moins savoureuse. C'est le jeu. C'est quand même là que nous sommes allées avec Roxanne, une Néerlandaise rencontrée dans l'auberge que j'occupe ici. C'est assez drôle de se retrouver là, dans cette ambiance romantique. On se croirait à un rencard.

Roxanne travaillait avant dans un cabinet d'avocat, mais la pression, le rythme de travail – et pourquoi ? - tout ça l'a fait fuir. Alors, elle voyage. Elle voudrait peut-être devenir coach personnel, car elle a elle-même traversé une période de transformation radicale, et elle pense pouvoir aider les autres à trouver en eux les clefs pour faire de même. Elle aussi ressemble à une force de la nature, toute en muscles, un ton ferme, décidé, mais toujours avec un rire au coin des lèvres. Elle voyage seule, elle aussi, et nous avons décidé d'aller ensemble voir les cascades du parc national Erawan, le lendemain.

C'est donc avec elle que je pars, le matin, en minibus, direction le parc national. Je n'ai pas retrouvé mes Autrichiens. Le plan initial était que nous passions une nuit à Kanchanaburi avant de prendre le train de nuit pour Chiang Maï. Nous avions même réservé nos billets en partant d'Ayutthaya. Mais arrivée sur place, j'ai réalisé que le temps serait trop court pour voir les cascades et repartir dans la même journée à Ayutthaya pour prendre le train de nuit. Je leur ai proposé de rester une nuit de plus et de prendre le train le lendemain, mais mon frère, Clément, qui connaît bien l'autochtone autrichien, m'a confirmé qu'on ne pouvait pas changer comme ça de plan à la dernière minute au risque de provoquer une crise cardiaque.

J'ai finalement changé mon billet toute seule, et c'est à eux que je pense, sur le chemin des cascades. La route est superbe, et les fenêtres ouvertes provoquent un courant d'air chaud particulièrement agréable pendant cette journée brûlante. Je pense à mes Autrichiens, et je me dis que j'ai pris la bonne décision. J'essaye de ne pas oublier ça, que je suis venue tout à fait égoïstement pour moi, que c'est mon voyage, et que je ne peux pas – je ne dois pas – m'accrocher désespérément aux autres pour me sentir plus en sécurité, au risque de ne pas faire ce que je voulais faire. Affirmer ses choix, ses envies. C'est un peu ce que je suis venue chercher, non ? Alors je pense à eux que je ne reverrai peut-être pas, et je chante dans ma tête : « I'll smile and I'll simply let go ».



Ces pensées, ce voyage entre les collines... je me suis sentie légère en arrivant au parc national. Les cascades d'Erawan s'élèvent sur sept niveaux, au milieu de la jungle, et sont séparées par environ 1 km les uns des autres. A chaque étape, on peut s'y arrêter pour se baigner. Roxanne a convié une autre personne avec nous, une Américaine dont je n'ai pas retenu le nom. Elle paraît jeune, et parle très peu. Au bout du quatre ou cinquième niveau, Roxanne décide de s'arrêter pour profiter de l'eau, et je continue avec l'autre. Nous montons les niveaux restant en silence. Arrivées au sommet, nous découvrons comme un petit bassin où l'eau, entre blanche et bleue, fait presque mal aux yeux tellement elle brille. L'eau coule sur les rochers à différents endroits. On croirait presque être arrivé au Paradis. Je crois honnêtement qu'il s'agit d'un des plus beaux endroits qu'il m'ait été donné de voir jusque là. Nous nous baignons, avec la jungle autour de nous. Nous nous asseyons sur les rochers, les pieds à l'abri des dizaine de poissons qui viennent nous bouffer les orteils dès qu'on les laisse traîner (fish spa gratos) et nous restons là pendant, quoi ? Vingt minutes ? Et nous ne nous dirons pas un mot, pendant vingt minutes. Mais étrangement, sa présence calme, douce, m'apaise énormément. Elle n'a pas envie de parler, moi non plus. Il n'y a pas d'efforts à faire.







C'est peut-être con, mais on aurait dit que ces vingt minutes de silence partagées nous ont rapprochées.

Sur le chemin du retour, nous échangeons un peu plus sur nos vies respectives. Nous nous arrêtons à une autre cascade où les rochers ont pris la forme d'un toboggan sous le passage répété de l'eau. Nous nous motivons l'une l'autre pour tenter l'expérience - « If you do it, I do it ». J'ai presque l'impression de me retrouver en dernière section de maternelle, quand celle qui allait devenir mon amie d'enfance (ou bien est-ce que c'était moi qui ai fait le premier pas ?) est venue me voir pour me demander : « Tu veux être mon amie ? ». J'ai dit oui, et il n'y avait pas besoin de dire plus. Pas besoin de se vendre, de se séduire ou de briller en société. Mon Américaine m'a demandé si je voulais monter jusqu'à la septième cascade et j'ai dit oui. Pareil. Parfois, il suffit de s'asseoir sur des rochers et de ne rien se dire, par consentement mutuel.


Alors voilà, petite mademoiselle, je n'ai pas retenu ton prénom et j'en suis vraiment désolée. Nous n'avons pas échangé nos coordonnées et les au revoir ont été très brefs. Mais je suis bien contente que tu ais été ma copine d'un jour et je te promets que je ne t'oublierai pas. Et à toi aussi, je te « smile » et « simply let go ».  



P.S. : "I'll smile and I'll simply let go" vient de la chanson "Burning this bitch down" de Sight Like December.