Je suis rentrée en Suède il y a quelques jours, après une
semaine à Paris. Ici, l’automne est arrivé et je me demande s’il existe une
saison dans ce pays pendant laquelle la nature n’est pas superbe. Les arbres
sont devenus rouge pétant, il pleut en même temps que le soleil et je contemple
tous les jours des arcs en ciel sous le vent glacial. On se croirait en hiver,
presque déjà, mais il y a des couleurs partout. Quand Nyamuk est venu en
septembre, nous avons déjà pu largement profiter de cette peinture grandeur
nature. D’abord pendant un week-end à l’est de la Scanie, à Kivik. Nous étions
déjà allés à Simrishamn pendant l’été, le port d’à côté, entouré de gigantesques
plages de sable blanc. Nous avions mangé des glaces en regardant des goélands
XXL se livrer à de véritables combats de catch pour quelques miettes jetées par
la foule amassée sur les bords de mer. Cette fois, Simrishamn était vide, et
nous avons dormi dans une maison d’hôte à quelques kilomètres du centre ville
de Kivik, à l’entrée du parc national de
Stenshuvud. Les propriétaires avaient vraisemblablement retapé cette ferme dans
laquelle les poules servent de comité d’accueil, et la femme vendait ses
céramiques dans une petite boutique à côté de notre chambre. Partout autour de
nous, le paysage avait été verni par la pluie. Nous avons passé deux jours à
crapahuter dans la forêt du parc national, qui grimpe le long d’une falaise
pour s’arrêter face à une superbe vue sur la mer. Avec la brume, on se serait
cru dans un conte celte, ou sur le tournage d’un film prenant le Moyen Age pour
décors, et lorsque nous sommes tombés
sur un labyrinthe construit avec des petits cailloux, notre imagination a
débordé. Il y avait aussi des animaux
bizarres, baptisés par nous-mêmes des « pandaches » - un mix entre un
panda et une vache – mais qui étaient en vérité des vaches de race Shetland. Je
garde de ce week-end le souvenir du calme et puis de la chaleur – pas à l’extérieur,
mais vous voyez.
La semaine d’après avait lieu le meeting de Trans Europe
Halles à Göteborg, sur lequel j’ai travaillé depuis que je suis arrivée ici. Un
grand moment, et une longue semaine, épuisante. Nous accueillions une centaine
de personnes venues de toute l’Europe, sur la thématique des actions « Bottom
up » - ou comment partir des citoyens pour influer sur la société et les
politiques. Pendant ce meeting, entre Röda Sten et Konstepidemin, je pense
avoir occupé une bonne vingtaine de postes différents, parfois totalement
improbables. J’ai commencé plutôt normalement à l’accueil, l’enregistrement, ai
fait de la comptabilité, de la décoration dans les salles, j’ai remplacé une
photographe, ai été appelée pour aider un technicien avec l’ordinateur, j’ai
pris des notes pendant des débats, assisté aux assemblées générales, et ai fini
comme grand final à faire la sécurité incendie sur un spectacle de circassiens
qui jouaient avec le feu. Cette semaine est passé comme un grand tourbillon qui
s’est achevé sur le partage d’une bouteille de champagne « backstage »
avec deux autres jeunes filles prises dans la même frénésie. Et puis, le
lendemain, nous sommes partis visiter un autre centre : Not Quite, à
Fengersfors. Il y avait plus de deux heures de route depuis Göteborg, un chemin
magnifique qui longeait les grands lacs au centre de la Suède, et me faisait
découvrir de nouveaux paysages. Arrivés à destination, nous avons découvert l’ancienne
usine de papier recouverte de feuilles d’un rouge sang qui recouvraient les murs.
L’endroit était magnifique. Nous avons mangé dans le restaurant avant de partir
pour la visite du lieu. Karl, notre guide, nous a fait découvrir les moindres
recoins de ce lieu passionnant. Dans une grande salle froide, il s’est soudain
arrêté pour nous faire partager son « rituel ». Après une minute de
silence, il s’est soudain jeté par terre et s’est coulé dans une demie
silhouette forgée dans un métal lourd, et qui prenait la forme d’un mégaphone
au niveau du visage. Allongé dans la poussière, Karl s’est mis à chanter à
travers cette armure. Il se relevait et vacillait sous le poids du métal, mais
continuer à chanter, et à diriger vers nous son mégaphone en tournant sur
lui-même. Cette performance était d’une force presque dramatique. Voir cet
homme tenter de se lever, et retomber toujours, sans que sa voix ne cesse avait
quelque chose de profondément émouvant.
La visite s’est terminée par un atelier de forge, pendant
lequel j’ai pu pour la première fois de ma vie apprendre à forger du fer. Je ne
suis vraisemblablement pas douée pour ça, puisque le résultat de mon œuvre était…
inattendu. Mais je rajoute une ligne dans la liste de mes expérimentations
manuelles.
Car ces derniers temps, j’ai beaucoup créé avec mes mains.
Mon été ayant été en grande partie consacré à l’écriture de mon mémoire, j’ai
fini par atteindre une overdose, et n’ai plus eu envie de formuler une seule
idée, ou utiliser mon cerveau pour quoi que ce soit. J’ai donc décidé de me
mettre à des activités manuelles – chose que je crois bien n’avoir jamais faite
en dehors des travaux pratiques à l’école, à part un pompon, une fois, quand j’avais
neuf ans. J’ai peins, j’ai découpé du papier, du carton, collé le tout ensemble,
mis du vernis, et entamé d’autres projets à plus long terme qui feront l’objet
d’une surprise. Très honnêtement, je ne suis pas douée pour ça. Une enfant de
quatre ans ferait pareil ou mieux. Mais ces activités m’ont salutairement vidé
la tête, et c’est exactement ce dont j’avais besoin.
Et puis, la semaine dernière, je suis rentrée en France pour
passer ma soutenance et mettre un terme – enfin ! – à mon cursus
universitaire. Et j’ai réalisé que mes deux projets qui prenaient toute mon
attention ces dernières années (finir mes études et partir en Suède) se sont
réalisés quasiment en même temps.
Je suis revenu à Lund et maintenant, le froid est là,
mordant. La lumière baisse et l’hiver s’installe peu à peu. Je sens l’envie de
me recroqueviller, de rester en tête à tête avec les histoires que je m’invente en écoutant des chansons chaudes.
Alors je me remets à traîner dans les cafés pour boire des boissons brûlantes en regardant les gens. Et j’ai envie de me remettre à écrire. J’ai dit à Nyamuk en
finissant la fac : J’ai fini mon chapitre ; maintenant, la page est blanche.
La page est blanche, donc, et elle est tout aussi excitante qu’angoissante.
Elle signifie la possibilité d’écrire une nouvelle histoire, de découvrir de
nouvelles intrigues ; mais elle veut dire aussi que je ne sais pas ce qui
va se passer, et qu’elle peut rester comme ça, sans rien dessus. La seule
certitude que j’ai sur ce nouveau chapitre, c’est que cette fois je ne l’écrirai
pas seule.
Je me suis demandée pendant un moment ce que j’allais
pouvoir faire de ces journées de travail qui finissent tôt. Et j’ai trouvé :
c’est peut-être l’occasion de prendre le temps de définir une nouvelle trame à
notre aventure.
Alors je collectionne les pages tombées des arbres et
utilise leur rouge comme encre pour écrire un nouveau roman.
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