* Photo piquée à Amélie sur Exotikpause *
Ma décision de partir au Myanmar s'est
faite un peu sur un coup de tête. En préparant mon voyage, j'y
avais bien pensé, mais toute pleine d'appréhensions que j'étais
sur cette partie du monde que je n'avais jamais exploré, je m'étais
dit que si je rencontrais un garde du corps / armoire à glace pour
m'y accompagner, peut-être oserai-je aller me frotter à un pays
majoritairement coloré en rouge sur le site du Ministère des
Affaires Etrangères. Je n'ai pas rencontré de Kevin Costner en sac
à dos, mais j'ai rencontré Brayden, dont l'enthousiasme à l'idée
de se retrouver au Myanmar, lui après le Vietnam, moi après le
Cambodge, m'a quand même fait réfléchir.
Le problème, c'est que j'étais plutôt
bien, moi, au Cambodge, avec ma team. Et je n'avais pas spécialement
envie de la quitter. Mais eux avaient décidé de partir faire le
Vietnam en moto, et il était pour moi hors de question que je tente
de manipuler un de ces chevaux de l'Enfer. C'est donc le cœur un peu
fripé que je me suis résolue à prendre mon billet d'avion et mon
visa en ligne de dernière minute, en espérant peut-être retrouver
Brayden quelque part au Myanmar. Même après avoir traversé trois
pays, les au revoir étaient toujours aussi nuls, voire de plus en
plus douloureux.
J'avais presque oublié ce que ça
faisait d'être seule. Et d'ailleurs, je n'ai pas vraiment eu le
temps de m'en souvenir, puisque mon statut de loup solitaire n'aura
duré que quelque heures, entre l'auberge de jeunesse de Phnom Penh
et l'avion qui m'amenait à Yangon. On n'arrête pas de le répéter,
mais ça ne coûte rien de le redire : voyager en solo est un mythe,
à moins de vraiment le vouloir et d'avoir une volonté de fer. Je
n'ai jamais été aussi peu seule qu'en partant quelque part avec mon
sac à dos. Dans l'avion, alors que mes larmes de séparation avaient
à peine séché, ma voisine a commencé à taper la discute :
une Chilienne d'une vingtaine d'années, qui revenait, avec deux
autres amies chiliennes, d'un semestre d'étude en Australie. Elles
m'ont tout de suite incorporée dans leur groupe, jusqu'à l'auberge
que j'avais réservé à Yangon, le Four Rivers (que je recommande
d'ailleurs pour ses lits qui sont de véritables nids de douceur).
Je n'avais aucun
itinéraire prévu. Toute occupée à profiter des plages
cambodgiennes, je n'avais rien lu sur le Myanmar. A part les
« précautions d'usage » qui se sont d'ailleurs avérées
fausses, en très grande partie. Cette totale ignorance de la
géographie du pays me laissait donc en théorie une absolue liberté
pour me greffer à n'importe qui. Je pensais que j'allais faire la
route avec mes nouvelles copines, Luz, Camilla et Vale, mais
l'imprévu, toujours lui, s'en est mêlé : nous avions réservé
toutes les quatre, via mon auberge, un bus pour partir à Bagan dès
le lendemain de notre arrivée. Mais une fois à la gare routière,
après 2h coincées dans les bouchons quotidiens qui asphyxient la
ville de Yangon tous les soirs en fin de journée, les filles se sont
rendues comptes que leurs billets étaient datés pour le lendemain.
Tous les bus qui devaient partir ce soir-là – dont le mien -
étaient complets.
Je suis donc redevenue
loup solitaire l'espace de trente secondes, le temps de retrouver,
dans la gare routière, un groupe d'autres loups solitaires qui
étaient tous, eux aussi, au Four Rivers de Yangon. Et voilà comment
s'est formée « the wolf pack », la meute de loups, qui
s'est déplacée ensemble pendant trois semaines dans une joyeuse
ambiance de colonie de vacances, qui a atteint son paroxysme dans une
chambre beaucoup trop luxueuse de Pyin Oo Lwin, où il m'a fallu bien
du whisky pour accepter d'écouter le dernier album de Justin Bieber,
vautrés sur un lit.
C'est intéressant une
meute de loups, car elle est constituée de plusieurs individus aux
personnalités très différentes, avec une position, au sein de la
meute, correspondant à ses particularismes, pour que le groupe
puisse avancer le plus efficacement possible. Je n'irai pas jusqu'à
dire que nous étions aussi bien organisés, mais en terme de
diversité, on y était. Jeunes et vieux loups, sages et fous, en rut
ou au calme : nous étions entre sept et dix, selon les jours,
et vue la taille du groupe, le fait de ne pas s'être entre-tués
relève presque de l'exploit. Mais cela tient sans doute à une seule
raison : nous étions tous des prétendus « voyageurs
solo ». Nous étions tous plus ou moins là pour les mêmes
raisons, et avions à peu près le même pedigree. Je ne pourrai pas
parler de tout le monde, mais il y a des personnages à évoquer
avant de passer en revue les différents chapitres birmans.
Chris, un Américain de
San Francisco, était l'artiste un peu torturé et élément social
du groupe qui revenait toujours avec des histoires incroyables sur
ses rencontres avec des locaux : un mariage presque arrangé
avec la fille du « chef » de Bagan, chez qui il avait été
invité à dîner, une après-midi passée dans la brume après avoir
bu une boisson non identifiée qu'on lui avait offerte à Nyaungshwe,
une invitation dans un monastère dans les hauteurs de Mandalay, etc.
Son arme : sa guitare qu'il avait emmenée avec lui et qui est
indéniablement un excellent moyen de communiquer quand la langue
fait défaut.
Jaime, jeune Canadienne
solaire au sourire presque trop grand pour son visage, moitié
bibliothécaire, moitié serveuse et véritable aimant humain.
Lorsqu'elle me parlait de sa vie dans l'Ontario, j'avais l'impression
d'avoir devant moi le stéréotype de la Canadienne badass qui
n'a pas peur de sauter du haut d'une falaise de plusieurs mètres,
même avec une plaie à la jambe déjà ouverte d'un précédent
saut, dont le poil se hérisse à peine à la vue d'un grizzly et qui
peut casser le nez de n'importe qui d'un coup de coude bien placé,
tout ça avec son minois de jolie blonde à peine plus grande que
moi. Je n'ai jamais pensé à lui dire ce que son prénom signifie,
prononcé à la française, mais elle fait partie de ces personnes
qui ont l'air d'avoir un amour de la vie indéboulonnable, chevillé
au corps, un roc inébranlable de joie, sans une once de naïveté.
Lors d'une marche dans les ruelles de Bagan, Jaime me parle de ses
précédents voyages, toujours en solo, en Europe et en Amérique du
Sud, de ses parents qui encouragent leurs enfants à voyager coûte
que coûte, de sa relation fusionnelle avec sa mère et du tatouage
qu'elles ont fait ensemble, etc. Tout paraît tellement simple, dans
sa bouche, que je suis partagée entre admiration inspirée et
jalousie désespérée en pensant à mon propre cerveau qui ne fait
que boucler et reboucler autour des mêmes situations, jusqu'à
m'asphyxier dans l'inaction. Si on m'avait demandé, je l'aurais en
tout cas élue loup le plus fort de la meute – et nous serons
d'ailleurs les deux seules survivantes de la meute initiale.
Ryan aurait pu concourir
à ce titre de prime abord : Américain d'origine thaïlandaise,
à vingt ans à peine, il donne l'impression d'avoir eu sept vies.
Enfance en Thaïlande, installation aux Etats Unis, volontaire pour
une ONG en Afrique, où il raconte avoir vu des hommes et des enfants
mourir, puis six mois en Australie avant de se donner un an pour
parcourir le monde. Avant de venir au Myanmar, il a fait un long trek
en solitaire au Népal, passant parfois plusieurs jours à ne croiser
ou ne parler à personne. Alors sur le CV, je l'aurais aussi mis dans
la catégorie badass, si au
bout de quelques soirées de confidences, je n'avais pas découvert
quelqu'un de jeune, encore, mais voyant dans son âge une faiblesse,
et rongé par la culpabilité d'avoir une vie facile par rapport à
la majorité du reste de la planète. Le complexe de la prison dorée.
Ou l'impression de dette perpétuelle envers le monde, dette qu'on
n'arrête jamais de rembourser au point de s'oublier soi-même. Ca
va, je connais bien.
Nous
avions un autre jeune exilé au long cours, Will, encore un
Américain, du Minnesota cette fois. Après plusieurs années à
enseigner en Asie, il prenait son temps aussi pour rentrer « chez
lui ». Il n'avait prévenu personne de son retour pour en faire
la surprise. J'espère que sa mère n'est pas cardiaque. Je crois que
ma mâchoire est tombée par terre lorsqu'il m'a dit qu'il n'avait
pas vu ses parents depuis plusieurs années (trois ans ? cinq
ans ? impossible de me souvenir). L'écouter me parler de la
facilité avec laquelle il faisait ses choix de vie me laissait là
aussi rêveuse. J'en suis venue à penser qu'il fallait eut-être
grandir dans le froid et la neige pour avoir ce détachement là. Ca
doit être pour ça que les pays du nord me fascinent.
Et
puis enfin, Amélie, que je placerai à côté de moi dans la meute,
pas seulement parce que nous étions deux Française du même âge
environ, mais parce qu'elle a elle aussi plaqué un boulot qui
perdait de son sens pour orienter ses rails vers l'Orient, justement,
et que bon sang, ça fait quand même du bien de retrouver une
compatriote à laquelle se confier un peu plus qu'avec d'autres, mais
aussi avec laquelle râler ou débattre en français jusqu'à ce
qu'Ali, le Québecois et médiateur du groupe, nous sépare en
pensant que nous nous disputons (alors qu'il ne s'agit que du sport
national, n'est-ce pas?).
Parce
qu'au final, même au sein d'une formidable meute de pièces
rapportées aux envies et aux motivations similaires, j'ai aussi
appris, pendant ce voyage au Myanmar, que tous les voyageurs solo ne
parlent pas la même langue et que la vie sur la route n'est pas
toujours une succession d'amours hippies. Il y a aussi des
incompréhensions, des disputes, et des jours difficiles.
Mais
ce sera pour un autre chapitre.
* Sur le site de Kakku - également piqué à Amélie et son Exotikpause *
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