Depuis que Nyamuk est parti en Indonésie, je me couche plus
tôt. Et donc, je dors plus longtemps. Et donc, je me remets à rêver. Pendant longtemps, je n'ai pas vraiment rêvé - que ce soit à cause de nuits trop courtes ou à cause de somnifères. Je crois que mes rêves me faisaient très peur. Ce n'est que récemment que j'ai "accepté" de laisser ma tête faire son petit travail de tri. J'appréhende encore un peu, parfois, mais je me rends compte que mes idées sont quand même beaucoup mieux rangées qu'avant. Ca vaut le coup de laisser faire, finalement. Je commence même à plutôt kiffer ça.
Depuis mon arrivée ici, je carburais plutôt à six heures de
sommeil. Non pas que j’ai l’habitude de dormir beaucoup plus normalement, mais
depuis mon retour de Bali, mes nuits duraient au moins dix heures. Un peu trop
peut-être, mais on finit par prendre le rythme. Je commence donc à comprendre qu’il
faut que j’atteigne au moins la barre des huit heures pour que mon cerveau se
mette à faire le tri pour produire des histoires – souvent absurdes.
En début de semaine, nous sommes partis à Göteborg avec Trans
Europe Halles, pour organiser notre prochain meeting qui se déroulera fin
septembre dans deux centres culturels : Röda Sten et Konstepidemin. Le
premier est situé sous un pont, près du port duquel partent les ferrys qui
relient la Suède et le nord du Danemark. «Röda Sten » signifie « pierre
rouge » et ce nom vient d’un rocher peint en rouge depuis des années, au
bord de l’eau. Il s’agit essentiellement d’un lieu d’expositions pour les arts
plastiques, mais ils ont aussi un restaurant qui se transforme en club à l’occasion.
L’autre centre, Konstepidemin, est en fait un ancien hôpital et le nom est un
jeu de mot sur « l’épidémie de l’art ». L’endroit est géré par une
communauté d’artistes qui travaillent ici, mais ils accueillent aussi des
personnes extérieures en résidence ou en programmation. On y trouve beaucoup de
plasticiens, mais aussi un studio de musique qu’on peut louer à la journée. J’avais
visité ces deux centres l’année dernière, et j’étais tombée amoureuse de
Konstepidemin, de ces petits bâtiments réunis autour d’espaces ouverts où on
peut lézarder (quand il y a du soleil).
Les journées de travail ont été particulièrement fatigantes.
Il fallait suivre et essayer de prendre part à un processus déjà en place
depuis plusieurs mois, tenter de s’y intégrer. Le soir, je tombais comme une
masse – et le fait de partager ma chambre avec Birgitta a sans doute joué dans
le fait que je devais me coucher plus tôt que d’habitude. Et mon cerveau avait
apparemment beaucoup de choses à évacuer. Les deux nuits passées là bas ont été
pleines de rêves plutôt violents où je tuais beaucoup de personnes sans le
faire exprès, où j’étais attaquée par d’autres puis en cavale. Le genre de
rêves qui parait très réel et après lesquelles on se réveille en se demandant si
on a effectivement tué quelqu’un ou non.
Cela dit, après toutes ces turbulences, j’ai eu la sensation
d’avoir fait une bonne vidange et je me sens un peu plus calme. Tout ici me
rend plus calme, en même temps. Le rythme de vie est très différent, et je sens
que je m’y fais plutôt facilement. Les horaires de bureau : 9h / 16h30,
pour tout le monde ou presque. On nous rappelle souvent qu’on a une vie en
dehors du travail, qu’il faut aller faire du sport – quitte à quitter le boulot
plus tôt. Les rues sont calmes ; même la pluie parait moins stressante
puisque tout le monde à l’air de ne pas vraiment s’en soucier. Comme me l’a dit
une Suédoise il y a quelques jours, si on s’empêchait de vivre quand il pleut
ici, on ne sortirait pas beaucoup de chez soi. Sauf que le temps a été plutôt
clément, jusqu’à présent.
Tout ça fait que je prends un rythme de vie aussi très
différent de celui que j’avais à Paris – et pour l’instant, ça ne me pèse pas.
Au contraire.
Je me souviens de mon cousin, lors de mon dernier jour à San
Francisco. Nous avions fait une promenade dans un quartier plein de maisons
très « high standard ». Il m’avait parlé de sa philosophie de vie ;
pour lui, on ne pouvait pas évoluer constamment. Il s’agit plutôt d’avancer par
paliers. D’arriver à un palier, et d’y rester un moment avant de gravir un
autre échelon. Je me souviens du dessin qu’il avait fait sur le mur avec son
doigt.
Je sens clairement que je viens d’atteindre un palier, que
je vais m’y poser un moment, faire ce que j’ai à y faire, avant de pouvoir
passer à autre chose la conscience tranquille.
Nyamuk n’en revient pas trop quand je lui dis que pour l’instant,
une sortie par semaine me suffit. Mais j’ai trop de choses à faire avec
moi-même. Continuer à rêver, par exemple.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire