Depuis que j’ai commencé à voyager un peu seule, je me suis
rendue compte que ces quelques séjours étaient la source des plus grands
apprentissages. Des trucs qui peuvent paraître très banales, et pour lesquels
je n’aurai probablement pas d’exemples précis, mais le simple fait de pouvoir
se débrouiller sans avoir réellement quelqu’un à ses côtés pour le moindre
renseignement, et s’apercevoir que tout se passe bien, rien que ce sentiment là
m’a beaucoup fait grandir. De voir aussi que la solitude n’est pas pesante,
mais qu’au contraire, elle peut donner des ailes et laisser plus de place à la
rencontre. Je n’ai jamais rencontré autant de personnes que pendant ces
voyages, je n’ai jamais eu l’impression d’entreprendre autant, de me construire
autant que pendant ces quelques semaines loin de la maison, dans des pays qui n’avaient
certes rien de dangereux, mais dans lesquels je me retrouvais malgré tout un
peu face à moi-même.
En faisant cette expérience à l’étranger, j’espérais pousser
ce processus un peu plus loin encore. Pour l’instant, tout s’est passé
calmement, sans accrocs, et j’ai parfois l’impression de m’être coulée
tellement facilement dans cette nouvelle vie que je n’en tirerai peut-être pas
autant d’enseignements que ce que je croyais.
Malgré tout, il y a des petites choses, des toutes petites
choses apprises mais qui ne veulent pas rien dire.
Dimanche dernier, je suis partie sur l’île de Ven, une île
qui se situe entre la Suède et le Danemark. C’était Benoit, un Français
rencontré pendant un barbecue sur la plage de Malmö, qui avait organisé l’excursion.
Le soleil était plus qu’au rendez-vous : il brûlait, et l’air était lourd.
Le voyage en bateau jusqu’à la toute petite île a donc été particulièrement
vivifiant. Nous étions une dizaine à participer, et tous venus d’horizons
différents. Je retiendrai de cette journée le port longé par de minuscules
maisons en bois dans lesquelles on peut manger du poisson fumé et de la salade
de pomme qui ont complètement ravi mes papilles gustatives ! Je retiendrai
aussi la plage sur laquelle j’ai pris mon premier bain de l’année en Suède, et
les grandes plaines plates par lesquelles nous sommes passés, recouvertes d’épis
de blé qui donnent tous ensemble l’impression de faire une chorégraphie sous le
vent. Je retiendrai aussi la glace à l’acacia, et ce nouveau parfum que je
cherche maintenant dans tous les glaciers – mais peut-être est-ce une
spécialité de l’île de Ven… ?
Mais ce que je retiendrai surtout, c’est que je suis
remontée sur un vélo.
J’ai fait un peu de Vélib’ à Paris avec Nyamuk, mais
toujours la peur au ventre, et avec les genoux qui se plaignent après dix
minutes de route. Autant dire qu’en déménageant dans un pays où tout le monde
circule à deux roues, j’avais un peu peur de ce détail. J’ai d’ailleurs esquivé
la question quand Birgitta m’a dit, quelques jours après mon arrivée, qu’il
fallait maintenant me trouver un vélo. Je me sens un peu comme Calvin, dans « Calvin
et Hobbes », face à ces bestioles. J’ai vaguement l’impression qu’elles m’en
veulent, ou en tout cas qu’elles sont douées d’une vie propre et qu’elles ne
répondent pas toujours à mes commandes. Sur l’île de Ven, j’espérais prendre un
tandem avec Thibault, un autre Français dans le groupe qui avait l’air partant.
Sauf qu’il n’y avait plus de tandem. J’ai donc cédé et suis montée sur mon
propre vélo. Et pour la première fois depuis longtemps, j’ai vraiment apprécié.
Mes genoux, moins, mais j’ai retrouvé le sentiment que j’avais lorsque j’étais
petite, pendant les sorties vélo avec mes parents dans la forêt.
Finalement, je me suis même achetée un vélo – un pour moi,
un pour Nyamuk. Un vélo très vintage, tout rouillé, avec des vitesses qui ne
marchent pas, mais il n’était pas très cher. Je fais maintenant le trajet entre
ma maison et le travail à deux roues. Je ne suis pas toujours très assurée et
il est fort probable que je redevienne une adepte du bus quand je déménagerai,
mais j’ai malgré tout l’impression d’avoir surmonté un challenge. Pour être
honnête, j’ai toujours un petit sentiment de fierté quand je gare « Agda »
(le nom de mon vélo, donc) et que j’accroche l’antivol. J’ai presque l’impression
de faire partie d’un nouveau club.
Au menu des petites leçons de la semaine, j’ai aussi changé
les cordes de ma guitare toute seule et pour la première fois. Ca m’a pris
environ deux heures, mais au bout du compte, ça fonctionnait, et Philipp – mon coloc-
avait l’air de dire que c’était du bon travail. Je vais pouvoir recommencer à
rock’n’roller !
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