Ca faisait un petit moment que je n’avais pas écrit ici. Il
faut dire que je suis passée sur la seconde pente de mon expérience en Suède,
en quelque sorte : de la découverte à la routine. En février, je me
promenais dans les rues de Lund, et je me suis tout d’un coup sentie à la
maison. Les rues étaient familières, j’avais mes habitudes, mes horaires, mes
endroits préférés. Je me levais le matin pour aller travailler, sortais le
soir, allais à la salle de sport, retrouvais mes amis le week-end. J’avais fêté
mon anniversaire avec Nadège, une grande fête avec plein de copains, de la
musique, de la danse. Finalement, la vie de tous les jours s’était réinstallée
sans trop m’en rendre compte. Je suis pourtant rentrée à plusieurs reprises en
France depuis le début de l’année, bien plus régulièrement qu’en 2012. Mais
cette fois, c’était comme être passée de l’autre côté du miroir. Les quelques
jours à Paris n’avaient plus leur saveur routinière. Ils étaient une espèce
d’entre deux bizarre dans lequel je me sentais étrangère dans un milieu
familier. Mes amis étaient toujours mes amis, mon appartement toujours mon
appartement, ma famille toujours ma famille. Mais moi, je n’étais plus la même,
et personne ne semblait vraiment s’en rendre compte. J’ai senti des petits changements.
Des choses qui avaient énormément d’importance auparavant qui ne signifiaient à
présent plus rien. Et au contraire, des détails anodins qui cette fois me
devenaient capitaux.
Cette période de transition n’est pas simple, il faut
l’avouer. Redécouvrir son ancienne vie tout en s’habituant à la nouvelle. J’ai
l’impression, en ce moment, d’être constamment entre deux rives, entre deux
vies, et de ne plus savoir laquelle passe en premier. En Suède, je compte
souvent les jours qui me séparent de mes vols vers la France, comme on
s’impatiente des vacances ou d’un prochain voyage. A Paris, je me tortille dans
une vie qui n’a pas changé mais dont je me sens de plus en plus étrangère.
Difficile de trouver la paix de l’esprit dans ces conditions, de se focaliser
sur un chemin. J’ai peur de me perdre en route, et de finir par ne profiter ni
de l’une ni de l’autre. La seule constante dans ces allers-retours, c’est
Nyamuk. Qui fait le lien entre ces deux vies qui se construisent en parallèle.
Ca, ça ne change pas.
J’ai passé le week-end de Pâques à Oslo, avec deux amis
français rencontrés ici. Sur le chemin du retour, assise sur la banquette
arrière, je regardais vaguement le paysage par la fenêtre. Le soleil brillait
fort, je sentais la chaleur des rayons sur mon visage, une chaleur que je
n’avais pas ressentie depuis longtemps et que j’attendais avec impatience
durant le long hiver suédois. Je ne sais plus quelle chanson passait à ce
moment à la radio, mais je me suis soudain souvenue à quel point j’aurais tout
donné il y a deux ans à peine pour être à cet endroit précis. Je devais alors
être dans un train entre Stockholm et Göteborg, ou entre Lund et Falkenberg, un
grand sac de randonneur à mes pieds. Je regardais ce même paysage, calmement,
sereinement, en me disant que oui, il fallait absolument que je vienne vivre
ici. Ce pays m’appelait pour une raison que je ne connais pas encore. J’aimais
ce relief plat sur lequel l’œil peut se perdre loin, cette lumière douce,
légère, le temps qui s’écoulait différemment. C’était un rêve qui me paraissait
loin. Et cette fois, dans cette voiture qui me ramenait à Lund, je me suis
rendue compte – à nouveau peut-être – que c’était bon. C’était fait. J’aimerais
pouvoir parler à mon moi du passé pour lui dire de patienter, que ça viendra.
Ce sont pour des moments comme ça que j’aimerais ne pas perdre la trace de
l’émerveillement, de ne pas me tirailler constamment entre l’attente du retour
en France et toute une vie à construire ici.
Quand je marchais dans les rues de
Lund en février en me sentant à la maison, j’ai aussi réalisé que le jour où je
ferai mes valises pour quitter la Suède, ce sera, à priori, pour de bon.
Lorsque j’ai pris l’avion à Charles de Gaulle pour m’installer à Lund, je
savais que je reviendrai. Mais quand je quitterai Lund ? Je quitterai ce
grand appartement qui donne sur les champs, je quitterai ce groupe d’amis qui
s’éclatera de lui-même à travers l’Europe, je quitterai les rues pavées, les
petits cafés bas de plafond, je quitterai Stadsparken et ses canards, les
routes encombrées de vélo. Je quitterai toutes ces choses que je n’ai pas envie
de quitter maintenant, et auxquelles je reste pourtant constamment infidèle en
gardant un œil sur mes prochains billets d’avion vers la France.
Ce dont j’ai peur, c’est de devoir un jour faire un choix.
Le pire étant de ne pas le faire, et de rester constamment entre deux pays,
entre deux vies, entre deux rives.
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