* Vue sur le fjord *
Pour le week-end de Pâques, je suis partie à Oslo avec Nadège et Alexandre. Oslo, finalement,
ce n’est pas si loin de Lund : moins de six heures de route. Alors, quand
nous avons réalisé ça, nous avons embarqué dans la voiture de Nadège et roulé
jusqu’en Norvège.
J’avais une idée d’Oslo très… norvégienne. J’imaginais une
ville plutôt petite et très verte, avec des maisons au toit rouge contrastant
avec le bleu du fjord. Une sorte de Reykjavik en plus grand, en somme.
Eh bien pas du tout. Nous sommes arrivés dans une ville
presque entière en travaux, hérissée de hautes tours à l’architecture
hétérogène, qui mélange sans complexe des bâtiments massifs d’allure communiste
et des quartiers ultra modernes qui vous balancent dans le futur. Notre première
ballade était justement typique de ce drôle d’assemblage. De notre hôtel, nous
avons marché vers la citadelle médiévale désertée, où des militaires en
mitraillette s’occupent de monter et descendre le drapeau national. Ici, nos
avions vue sur une partie du fjord, coloré par le soleil couchant. En longeant
la citadelle, nous avons atteint l’énorme hôtel de ville qui n’a vraiment rien
à envier à l’ère stalinienne : un énorme cube de briques rouges devant
lequel une statue gigantesque fait face au port comme si elle haranguait la
foule. Soit. Nous avons poursuivi notre chemin sur le port qui se prolonge en
une promenade en bois bordée de restaurants et de cafés branchés. Avec un peu
de soleil et de chaleur en plus, on pourrait presque se croire à Cannes. Nous
avons marché le long de l’eau jusqu’à quitter les « boum boum » de la
musique pour jeunes pour être tout à coup plongés dans le noir et le silence,
au bout de la jetée. Autour de nous, des immeubles aux allures futuristes nous
donnaient presque l’impression d’être dans un filme de science fiction.
Cette ballade à travers les rues et les âges nous a donné un
bon aperçu de la diversité de la capitale qui m’a intéressée mais assez peu
émue. Oslo ressemble à une ville sans passé. Peut-être parce qu’il s’agit d’une
ville à l’identité finalement assez neuve. L’indépendance totale de la Norvège,
sous domination danoise depuis le XVème siècle, ne date que du XIXème siècle,
et le pays est resté lié à la couronne suédoise jusqu’en 1904. Pire, Oslo n’est
devenue Oslo qu’en 1945 : elle était auparavant appelée Christiania, en l’honneur
du roi du Danemark, Chrsistian IV. Et ce n’est qu’en 1945 que la ville décide
de faire table rase du passé pour affirmer sa propre identité et reprendre son
nom d’origine, Oslo, « la terre des dieux » en vieux norvégien. Oslo,
finalement, n’en est presque qu’à son adolescence, et son esprit semble encore
incertain, vacillant. Le quartier de Grünerlokka, par exemple, est certes très
mignon avec ses petits cafés aux terrasses bondées dès les premiers rayons de
soleil… mais il suffit de s’en éloigner de quelques mètres pour ne plus en ressentir
l’atmosphère.
Plus ou moins convaincue que je ne tomberai pas amoureuse
d’Oslo, je me suis dit que je pourrais au moins en avoir une approche plus…
intellectuelle vue la richesse culturelle de la capitale. Et des choses
intéressantes, il y en a à voir ! Il y a l’opéra, posé sur l’eau du fjord,
inauguré en 2008 et qui a remporté le Prix de l’Union Européenne pour l’architecture
en 2009, il y a Holmenkollen, le tremplin de saut à ski, l’un des plus vieux
tremplins du monde, il y a l’incroyable parc de sculptures de Viegeland, qui
raconte une vie entière par des statues massives aux formes rondes, les galeries
nationales et leur riche collection d’art moderne, … il y a tout ça mais ce n’était
pas vraiment ce que j’étais venue chercher.
* L'opéra d'Oslo *
* Une statue du parc de sculptures de Vigeland *
* La piste de saut à ski *
Alors, le deuxième
jour, j’ai quitté mes acolytes,
direction le musée Munch qui n’a de Munch que le nom et quelques tableaux du
peintre. Le reste de la collection propose une rétrospective des peintres
nordiques tout au long du XXème siècle. Cela faisait pas mal de temps que je
n’avais pas mis les pieds dans un musée et surtout, il me semble bien que je
n’avais jamais vu de Munch en face à face. Et dès le premier tableau, son génie
m’a embrochée le cœur.
Dans « Golgotha », j’ai vu dans les traits
empressés du tableau une fureur de vivre qui m’a prise à la gorge, une véritable
course contre la mort. J’ai vu dans « Puberté » les sensations et la
honte qui éclaboussent la toile, explosent dans les couleurs. J’ai vu aussi le
refus radical du prosaïque, de l’anecdote, du fait mineur pour donner toute sa
place à ce qui compte réellement. Prosaïque qui vient au contraire gâcher pour
moi les tableaux de Ludvig Karsten, où les assiettes sont beaucoup trop
présentes dans « From my blue kitchen », où les maisons sont trop
dessinées et les visages trop identifiables, emprisonnant l’imaginaire dans une
histoire du quotidien. Dans la peinture de Munch, au contraire, il y a des
sentiments bruts, assoiffés de liberté, qui se laissent prendre par celui qui
les regarde. Ces tableaux ne me racontent pas d’histoire, c’est moi qui en
m’immergeant en eux reconstruis mon propre monde, réécris le conte avec mes
propres émotions. Face à eux, je me suis sentie terriblement vivante. Je
sentais avec effroi et bonheur des sentiments bouger à l’intérieur de moi,
comme dans la peinture de Francis Bacon, ou devant « In Flux /
Desire » d’Arnr Ekeland, aussi exposé dans le musée Munch, et qui peint
sur les corps ce désir de vivre et d’échappée dévorant qui brûle la peau et
étire les muscles.
Dans ces périodes de trouble et de trop, j’ai parfois
tendance à oublier ces sensations qui circulent. Et soudain, elles me
reviennent en pleine face, en un tourbillon d’envies d’horizons lointains et d’ailleurs, de vie
plus exaltante, et d’évasion de ces prisons dont nous avons-nous-mêmes jeté la
clef. Je ressors rarement indemne de ces raz-de-marée. J’embarque alors souvent
sur un bateau inconnu à la destination incertaine avec le vent du grand large
dans la tronche. Ou bien j’accroche à mes pieds des boulets pour me tenir
tranquille encore un moment, et je sens tout mon corps se révolter contre
l’étouffement.
Quelques pas plus loin, dans ce même musée, je suis tombée
sur « Harbour » d’Axel Olson, tableau surréaliste que je ne
connaissais pas. Une peinture qui disait tout. La mort de ceux qui restent à
quai. L’angoissant inconnu de ceux qui le quittent.
Ce tableau ma poursuivie tout le temps restant de notre
séjour à Olso. J’avais dans la tête l’image de l’ancre marine et de son
paradoxe, l’iode et le sentiment de voyage qui en émane tout en servant
justement à stopper la navigation.
* Le port de Drobak *
Le lendemain, justement, nous avons quitté Oslo pour un
petit village au bord du fjord, Drobak. Un port pour lequel le mot
« mignon » semble avoir été inventé. Nous avons regardé la mer, mangé
de succulents gâteaux dans un café qui ressemblait à une maison pour troll, et
je me sentais libérée d’un poids. Je savais que ça n’allait pas durer. Mais ces
moments me font me souvenir de ce que je veux et de ce dont je ne veux pas.
Avec toutes ces nouveautés en ce moment, j’ai tendance à oublier, et ce sont
des boules de larmes qui viennent parfois me le rappeler. Il va falloir que je
me rafraichisse la mémoire avant que mes boulets ne me fassent toucher le fond.
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