samedi 9 avril 2016

10-11.01.2016 : Les temples d'Angkor - le complexe du mauvais touriste ou faire des blagues pourries dans un site millénaire.



Ca fait un moment que je me dis qu'il faudrait que j'écrive sur Siem Reap et les temples d'Angkor, parce qu'il s'agit quand même d'une étape incontournable pour quiconque se rend au Cambodge. On parle mine de rien d'un des sites classés au patrimoine mondiale de l'UNESCO et d'un parc archéologique de 400 km² qui contient l'un des plus grands bâtiments religieux du monde (Angkor Wat) et dont l'histoire n'a pas encore livré tous ses mystères. Au-delà du CV monstrueux, la visite d'Angkor et mon escale de deux jours à Siem Reap font partie des étapes les plus marquantes de mon séjour, donc ça valait bien le coup d'en toucher quelques mots.

Sauf que quand je me suis posée devant mon écran d'ordinateur, pleine de bonne volonté, je me suis rendue compte que je ne me souvenais absolument pas de l'histoire d'Angkor. Je me suis dit, quand même, ça craint. Je crapahute à travers l'Asie à découvrir des nouvelles cultures, je vais visiter un des sites les plus captivants et les plus impressionnants de l'Asie du Sud Est, et, maline, j'ai rien à dire dessus.

A ma décharge, il faut dire que l'histoire d'Angkor n'est pas hyper claire et que les historiens spécialistes du Cambodge sont un peu perdus eux aussi. Oui, parce que j'ai triché. Voyant que je n'avais rien retenu de la leçon, je suis allée lire des articles en ligne et épluché quelques bouquins pour combler mes lacunes et me rendre compte que plusieurs théories se heurtent, entre les « fonctionnalistes » qui étudient Angkor en tant que cité hydraulique, à travers son système de canaux et son développement en « mandala » qui fait apparaître un système socio-économico-religieux complexe, bâti sur plusieurs siècles, et les « ritualistes » qui préfèrent voir des symboles dans le positionnement de chaque pierre de cette ancienne cité royale. Les chercheurs se heurtent aussi à un « trou noir » historique de plusieurs centaines d'années, durant lesquelles les traces et les histoires des différents rois qui se sont succédés sur le trône ont carrément disparues.

J'étais donc là à potasser mes bouquins quand le ridicule de la situation m'a sauté aux yeux : je suis allée à Angkor, j'ai marché entre les magnifiques ruines de Ta Prohm qui semblent s'extirper de la jungle (et qui ont servi au décor de Tomb Raider pour les fans), j'ai contemplé les visages paisibles sculptés dans les colonnes de pierre du Bayon, et plutôt que de parler de tout ça, j'essaye d'accumuler un savoir académique que j'aurais pu avoir sans parcourir 10 000 km mais simplement en allant poser mes fesses dans la Médiathèque d'Issy les Moulineaux.


* Les visages sculpté du Bayon *

Et pourtant, j'en ai des choses à dire sur Angkor et sur Siem Reap. Mais quand je m'apprête à les raconter, une petite pointe de culpabilité fait son chemin dans mon cerveau et me murmure au détour d'une circonvolution : « Quand même, tu es une mauvaise touriste. » Je ne me suis jamais considérée comme une aventurière casse-cou, et mes compagnons de voyage pourront confirmer que je ne suis pas particulièrement portée sur l'adrénaline ou la journée de quarante-cinq heures. Alors je pensais me rattraper avec une curiosité à toute épreuve, et une tête prête à emmagasiner toutes les informations et tous les détails de l'histoire et de la culture de chaque pays que j'allais traverser.

Et finalement, non, je n'ai pas excellé dans cet art là non plus. Mais cette étape du voyage m'a au moins aidée à faire mon coming-out.

A Angkor, nous avions le choix entre des billets d'un jour, trois jours et cinq jours. Tout le monde nous disait de prendre au moins le billet de trois jours (c'est sûr que 400 km², ça se fait pas en deux-deux), mais nous nous sommes accordés dans le regard tacite de ceux qui veulent faire un truc discrétos pour prendre seulement celui d'un jour. Déjà, parce que c'est cher, et que quand on voyage sac au dos, on n'oublie jamais que dix euros de plus, c'est quasiment l'équivalent de deux nuits d'hébergement. Ensuite, parce que pour citer ma très chère amie L. (dont je tairai le nom, parce que je ne sais pas si elle veut se revendiquer de la troupe des mauvais touristes) : « Un temple, t'en as vu un, t'en as vu dix. » Ce qui – sans vouloir minimiser la beauté architecturale de tous ces temples – est totalement vrai. Au bout d'un moment, les vieilles pierres... bah c'est des vieilles pierres, et quitte à passer pour une blasée de la route, après un certain nombre de temples, l'émerveillement n'est plus le même.

L'avantage du billet d'un jour, si on l'achète en fin d'après-midi pour le lendemain, c'est qu'il donne quand même accès au site le soir même, pour aller voir le coucher de soleil sur le site. Notre chauffeur de tuk-tuk (nous avions choisi l'option « feignasse », plutôt que de louer des vélos, avec le même regard tacite) nous a emmenés à Phnom Bakheng, avec tous les autres touristes, et nous avons regardé le soleil se coucher, pas vraiment « sur » les temples d'Angkor, mais sur la forêt loin là-bas, et nous, nous étions assis « sur » le temple. Au final, j'ai surtout vu beaucoup de fesses, celles des gens qui étaient devant moi et qui bouchaient la vue même quand j'étais debout, parce que je suis pas grande.

Bon, c'était joli quand même, mais ça ne vaut pas un coucher de soleil sur la mer ou sur le Mékong (et ça, c'est gratos) et je me suis dit que la prochaine fois que j'irai voir un coucher de soleil, je me renseignerai un peu plus longuement sur la cible désignée par la préposition « sur » - à savoir : est-ce le soleil ou les touristes qui seront « sur » le site en question ?

Deuxième tentative de soleil, pour le lever cette fois. Réveil difficile à cinq heures du matin, le même chauffeur de tuk-tuk nous a emmenés, tout bouffis de sommeil, à Angkor Wat cette fois, le plus grand temple du parc archéologique. C'est fou le nombre de personnes qui se lèvent aussi tôt en vacances, quand même. Après nous être jetés sur le stand de sandwichs, nous nous sommes installés pour assister au spectacle, et là, j'ai bien senti que nous avions fait une boulette : nous n'avions pas de perche à selfie. Et sans déconner, nous étions presque les seuls. C'est à peine si je n'ai pas senti des regards interloqués d'autres personnes se demandant ce que nous faisions là. Mais je me suis sérieusement demandé pourquoi est-ce que nous nous étions imposés cette heure de réveil totalement indue quand je me suis rendue compte que... bah y'avait des nuages. Qui dit ciel nuageux, dit « tintin » pour le lever de soleil. Mais vraiment. Il n'y avait pas de soleil. Il y a juste eu la lumière du jour qui, au bout d'un moment, a remplacé l'obscurité. Ce qui ne justifie en rien le frémissement de la forêt de perches à selfie et les innombrables flash (faudra d'ailleurs m'expliquer à quoi sert un flash pour un lever de soleil, qu'il y ait ou pas de soleil). J'ai quand même commencé à envier un peu cet optimisme forcené (et très typiquement touristique) de ne pas vouloir admettre qu'une expérience est ratée et de s'accrocher à l'idée qu'elle était unique et incroyablement inspirante, juste parce que ça la fout mal d'aller à l'autre bout du monde et de se lever à 4h du matin pour rater son lever de soleil.


*  "Michel, je crois qu'on ne regarde pas dans le bon sens." *

L'avantage de s'être levé aussi tôt, d'avoir abandonné le lever de soleil invisible avant tout le monde, et de ne pas avoir de perche à selfie à ranger (j'ai testé pour vous, c'est fourbe ces bêtes-là) c'est que nous avons commencé notre visite sur un site presque vide. Et ça, c'était chouette. Avoir Angkor Wat pour presque soi tout seul, arpenter les galeries de pierre grignotée par la mousse sans faire la queue derrière un groupe de vingt personnes, grimper les marches beaucoup trop hautes des tours qui mènent à des pièces vides – tout ça, ça permet de laisser vagabonder son imagination et de laisser en roue libre ses travers de mauvais touristes. Mauvais touriste, parce que là où Pierre Loti décrivait le « doublement progressif » des escaliers, en disant que « c'est comme si la demeure des dieux, à mesure que l'on approche, vous fuyait en s'élevant dans les airs », nous avons fait des blagues pourries sur ces branquignoles d'architectes qui ont loupé leurs mesures. Là où des bas-reliefs millénaires racontent la vie quotidienne de l'époque, que peu de documents commentent, nous avons vu des dessins de personnes faisant la queue aux toilettes, l'une d'elle gesticulant en faisant la fameuse « danse de la culotte ». Là où des groupes écoutaient en acquiesçant le guide décrivant les différentes théories qui courent autour des temples d'Angkor, nous nous sommes cachés dans les ruines en gloussant sans raison, juste parce que nous avions à disposition un gigantesque et magnifique terrain de jeu qui a titillé notre imaginaire (de bas étage, je l'admets) plus que notre soif de savoir. Au final, on n'a pas appris grand choses, mais qu'est-ce qu'on s'est poilé.


* " Quand tu cherches tes clefs à 3h du matin et que tu as très envie de faire pipi" *

Vers 11h30, nous avons dit à notre chauffeur que nous voulions rentrer à l'hôtel. Il commençait à faire trop chaud et puis ça nous avait suffi. Il a eu l'air un peu interloqué. Mais nous avions jeté notre Lonely Planet depuis bien longtemps et décidé d'organiser notre journée en suivant l'envie du moment, au risque de passer pour des rustres incultes.

Soyons clairs, cela dit : j'ai adoré le site d'Angkor. C'est un endroit magnifique, incontournable, unique, d'une beauté indescriptible. Mais je l'ai aimé aussi parce que je l'ai fait à ma manière, en écrivant ma propre histoire et en m'y faisant des souvenirs que je serai même bien incapable de raconter maintenant, tant ils étaient liés à l'instant, au moment.

Le reste de la journée, nous nous sommes baladés dans Siem Reap, qui était une petite bourgade perdue dans la campagne rizicole avant d'exploser grâce à sa proximité avec Angkor. Mais il y a encore un petit esprit « bucolique », dans certains endroits. Nous avons flâné dans le marché couvert (qui sent la mort au rayon nourriture, comme quasi tous les marchés que j'ai faits au Cambodge), nous avons bu un verre de vin dans un quartier aux allures totalement colonialistes, nous nous sommes payés le fou rire du siècle en offrant les peaux mortes de nos pieds aux poissons dans un « fish spa » posé au milieu d'une rue, et nous avons refait le monde en regardant des gens tenter de maintenir leur équilibre sur la « slack line » montée dans le jardin de notre auberge, le Garden Villa. Et c'était une journée pas loin d'être parfaite.

Finalement, en refermant mes livres sur Angkor, je me suis demandée d'où me venait cette espèce de culpabilité de ne pas m'être suffisamment intéressée à l'histoire archéologique du site, alors que mon expérience là-bas fut celle d'une magnifique journée pleine de rire et d'émerveillement pour les sens. Pourquoi est-ce que j'avais éprouvé le besoin de cacher nos blagues toutes nulles sous une couche de savoir académique ? Mine de rien, j'avais peut-être encore parfois le besoin de justifier le fait d'être partie comme ça, me payer une tranche de bon temps pendant quelques mois. Alors pour le justifier, j'ai ouvert des bouquins à posteriori pour dire : « Je ne suis pas partie rien faire, je suis partie me cultiver. »

Et je me suis cultivée. Mais pas autant par le savoir que ce que je pensais. Je me suis cultivée en me tapissant de plein d'engrais de bonheur 100 % bio que j'ai arrosé avec beaucoup de rires et de rencontres pour faire pousser une forêt vierge d'espoirs aux racines bien ancrées dans une meilleure connaissance de moi-même. Et ce savoir là, je n'aurais pas pu le trouver dans la Médiathèque d'Issy les Moulineaux (même s'ils font un super boulot hein – bisou Joanny).

J'ai quand même ouvert un dernier bouquin après avoir refermé les livres sur Angkor. C'était un dictionnaire, et j'ai regardé d'où venait le mot « tourisme » : il vient en fait de l'anglais, « tour » - un cercle – et du suffixe « -ism » qui renvoie à un comportement typique, une qualité. Le « touriste », c'est quelqu'un qui fait un tour, un circuit, qui part d'un point pour repartir de ce même point après avoir être passé par plusieurs étapes. Alors c'est peut-être bien ça le truc : au bout d'un moment, je n'arrivais plus à être une touriste et à faire le tour – d'un monument, d'un site, d'une ville, d'un pays – puisque je n'ai pas su, jusqu'au dernier moment, quand et où aurait lieu le retour. J'ai arrêté de vouloir faire le tour, je me suis juste laissée vivre. Ce qui me fait dire que même au fond des dortoirs dégueus à deux dollars ou à l'avant d'un minivan roulant en sens inverse sur une route qui n'en mérite même pas le nom, je crois bien que je me suis payée le plus beau luxe qui soit.







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