Bilbao est une menteuse. Est-ce que tu entends dans son nom
la musique des tropiques, la chaleur moite et humide que les remous du fleuve
ne peuvent pas rafraîchir, le chant des oiseaux exotiques aux plumes colorées ?
Moi, c’est ce que j’entendais dans ces trois syllabes en forme de vague qui
riment avec « sombrero ».
Je suis arrivée ici il y a trois jours et j’y ai cru, au
début, en voyant l’herbe verte de la colline, les palmiers qui bordent les
trottoirs, et les maisons de toutes les couleurs rassemblées autour d’une
gigantesque peinture murale. Mais j’ai rapidement compris que quelque chose n’allait
pas, que Bilbao avait un secret à cacher. Je l’ai senti en faisant des tours et
des détours dans une ville qui n’a pas été construite pour les piétons, qui
étourdit les marcheurs en les faisant monter sur des passerelles, descendre
dans des tunnels, prendre un virage à gauche, puis un virage à droite. Bilbao
étourdit le voyageur pour ne pas rendre l’arnaque trop évidente. Pour ne pas
que l’on voit ce qui se cache sous son maquillage.
Il y a encore trente ans, Bilbao était une ville
industrielle, noire et polluée, subissant de plein fouet la crise économique
des années 80. Pour la sauver, le gouvernement basque et les pouvoirs locaux
ont investi dans la culture, offrant notamment à la fondation Guggenheim un
musée dont elle doit gérer les collections. Le musée Guggenheim est devenu le cœur
de la ville, celui qui pompe les afflux de touristes et redonne toute sa
vitalité à la capitale basque, celui qui fait circuler l’économie, qui a
relancé les commerces et qui fait maintenant tout fonctionner. Grâce à lui,
Bilbao s’est fardée en un centre culturel de renommée mondiale. Mais son passé
est toujours là. Il se sniffe à tous les coins de rue, sur chaque pavé et sur
chaque mur. Bilbao est toujours aussi grise. Et ce ne sont pas quelques
palmiers qui peuvent en effacer les traces.
Je pensais venir me réchauffer les os à Bilbao. Mais voilà :
je suis ici depuis trois jours et je crève toujours de froid. Je marche pendant
des heures sous la pluie et sous la grêle, et même après une demi-journée
passée à me réchauffer dans un café, il fait toujours aussi glacial.
La vérité, vois-tu, c’est que je m’en fous de Bilbao. Je m’en
fous de la pluie, de la grêle et des palmiers, je m’en fous du musée
Guggenheim, de ses collections renommées et de l’énorme chien en fleur qui
trône à l’entrée, je m’en fous de la révolution culturelle, je m’en fous de
tout ça. La vérité, c’est que tu me manques, et que c’est dans le ventre que j’ai
froid. Tu me manques, et ça, Bilbao n’y peut rien, ni les avions ou les trains
que je prends tous les deux jours, ni le soleil, ni les sourires, ni les
rencontres. Je ne sais plus où je me trouve et si j’aime ou non ces endroits et
puis aussi ma vie. Je ne peux pas savoir ça si tu n’es pas là pour rétablir l’équilibre
d’une balance qui penche toujours du mauvais côté en ton absence.
Voilà, c’est ça. Bilbao est une menteuse qui cache sa grisaille
derrière d’artistiques couleurs chatoyantes. Et en cela, Bilbao est autant une
menteuse que moi.
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