P.,
Oui, tu ne rêves
pas, c’est bien à toi que j’écris aujourd’hui. J’aimerais bien voir ta tête,
tiens. Je crois que je t’entends déjà me dire « Super. Ca me fait une
belle jambe. » Mais ça fait déjà quelques jours que ça me démange.
Normalement, j’écris tout à la main, et puis là, pas moyen. Je suis devant mon
écran ; c’est un exercice nouveau pour moi, je ne sais pas trop comment m’y
prendre. Je ne sais pas pourquoi je bloque. Peut-être parce que je t’ai écrit
tellement de lettres à la main que je ne t’ai jamais données que ça n’a plus
vraiment de sens de recommencer. Ou alors parce que cet écran là, entre nous, a
eu un rôle important, aussi bien dans la rencontre que pour la rupture.
Toi-même tu sais.
Et donc, oui, ça
fait quelques jours que ça me démange. En même temps, je rêve tout le temps de
toi en ce moment. Tu n’y es pour rien, je sais, mais j’aimerais bien que tu
arrêtes de squatter mon inconscient, toi et tous les symboles que tu trimballes.
C’est un peu de ma faute, aussi. Ce qu’il y a, c’est que j’ai commencé à jouer
à un jeu sur téléphone, un jeu de conquête de territoires, et sans faire
attention, je suis remontée dans ce bus. Ce fameux bus à trois chiffres que
j’ai pris pendant des années pour venir chez toi. Et sans faire attention non
plus, j’ai remis – presque instinctivement – la playlist de l’époque. Cake,
The Cooper Temple Clause, Madrugada. Bubblegum
de Mark Lanegan. Enfin, ça, je n’ai
jamais vraiment arrêté de l’écouter, mais là, assise dans ce bus avec la voix
de Mark Lanegan dans les oreilles me susurrant :
« Did you call for a night porter?
You smell the blood running warm
I stay close to this frozen border
So close I can hit it with a stone.”
… bin
je te jure que ça fait un choc.
Tu te
rends compte que ça fait sept ans que nous nous sommes séparés ?
Que je
suis partie, d’accord.
Tu
avoueras qu’on s’est quittés d’une manière un peu absurde. J’ai toujours été nulle en rupture, ça, c’est
quelque chose qui n’a pas changé.
Encore
aujourd’hui, j’aurais du mal à te dire ce qu’il s’est passé ce jour-là. Je me
refais parfois le déroulé de ces quelques heures, mais je ne les comprends
toujours pas. Il y a eu un craquement. Ca a pris une fraction de seconde. Ne me
demande pas pourquoi. Je ne sais toujours pas comment il est possible de
pouvoir quitter quelqu’un en un seul instant après l’avoir aimé pendant autant
d’années. Le temps, simplement, de reprendre une bouffée d’air.
Les premières années, j’ai été en colère contre toi. Parce qu’en te quittant, j’ai
découvert un jeu pour lequel j’avais l’impression de partir avec un handicap. J’ai
passé tant d’années avec toi sur le qui-vive, avec la peur constante que tu te
braques encore une fois, que tu me quittes, avec l’inquiétude sourde du rejet
brutal après chaque moment de calme. Je ne connaissais que ça quand je suis
partie, et c’est ce que j’ai continué à chercher pendant presque sept ans. Sept
ans d’errance sentimentale à m’attacher à ceux qui, surtout, ne voudraient pas
vraiment de moi. Sept ans à détester ceux avec qui je commençais à avoir un
semblant de relation, quelle qu’elle soit. Sept ans à me battre en silence,
mentalement, contre tous ceux qui partageaient avec moi un jour, une nuit, une
semaine, un mois, une vie. Tu n’imagines pas à quel point j’ai pu haïr le
sentiment amoureux, à quel point j’ai pu avoir envie d’arracher ce truc qui
vient te coller au ventre mais qui te fait beaucoup plus de mal que de bien.
Pendant
un temps, j’ai choisi ceux qui ne me faisaient plus rien. C’était moins
douloureux.
Mais c’est
vite chiant aussi.
Et puis
voilà.
Il s’est
passé quelque chose, quelque chose qui était en gestation depuis un moment mais
qui vient d’exploser. Et ça, j’avais envie de t’en parler.
Tu sais,
j’avais arrêté la psychanalyse quand notre relation a commencé.
Et puis
je l’ai reprise.
La semaine
dernière, il y a eu une séance libératrice où, tout d’un coup, j’ai compris.
J’ai
compris, notamment, que ça n’avait rien à voir avec toi, que ça remonte à bien
plus loin.
J’ai
compris que j’avais appris à aimer en pleurant, j’avais appris que la seule manière d’exprimer
ses sentiments se fait par les larmes.
« Je souffre pour toi, ça veut dire
que je t’aime. »
J’ai
compris que c’était une belle connerie, surtout.
Et de me dire ça, ça a tout dénoué d'un coup.
Comme si le géant assis sur mes épaules venait de se péter la gueule et que je pouvais tout d'un coup m'envoler si j'en avais envie.
Et de me dire ça, ça a tout dénoué d'un coup.
Comme si le géant assis sur mes épaules venait de se péter la gueule et que je pouvais tout d'un coup m'envoler si j'en avais envie.
En fait,
tout ce que je voulais te dire, c’est que je suis en train de devenir quelqu’un
de bien.
Que je
refuse le silence, maintenant. Je suis encore un peu maladroite, parfois, quand
il s’agit de s’exprimer, mais je m’y tiens.
Je
voulais aussi te dire que finalement…
« C’est
pas toi, c’est moi. »
Ca, je
ne te l’ai pas sorti à l’époque.
Je
pourrais le faire maintenant.
Mais
ça, ça t’en ferait vraiment une de belle jambe.
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