Première vraie journée de travail aujourd’hui.
Tôt le matin, Birgitta nous a récupérées en voiture, Marian
et moi, pour déposer mes affaires à Väpplivägen où j’emménage ce soir. Mes
valises jetées dans la chambre, nous nous mettons en route pour le bureau où
notre première tache sera d’organiser un déjeuner. Henrik nous rejoint un peu
plus tard. L’atmosphère est détendue. Je parle de mes racines arméniennes, et
réalise que j’ai oublié le CD que mon cousin m’a ramené de Erevan.
La journée sera assez calme. J’ai encore beaucoup de détails
administratifs à gérer et je personnalise mon ordianteur. L’occasion d’appeler
Nyamuk qui me règle un problème de configuration de boite mail en quelques
minutes. Je prends connaissance des taches qui vont être les miennes pendant
l’année ; normalement, je travaillerai beaucoup avec Henrik à la
communication, mais Birgitta veut aussi m’impliquer dans la gestion de l’aspect
économique des meetings qui sont organisés deux fois par an. Il y aura aussi
des choses à faire avec Mejeriet, notamment pour organiser les événements le
soir. Le reste de la journée, je commence doucement à prendre les choses en
main. Evidemment, des problèmes informatiques surviennent très vite et je
n’aurai pas pu faire grand-chose aujourd’hui.
Comme d’habitude, j’hésite longuement avant d’oser poser une
question ou demander quoi faire. La peur de déranger est – j’en ai bien
l’impression – doublée à l’étranger, devant des personnes qui ont mis tellement
de choses en œuvre pour que je puisse venir ici. Mais je sais que ce n’est
qu’une question de temps avant que tout ça devienne plus naturel.
Nous quittons le bureau tôt car Marian a un train pour
Göteborg qu’elle ne doit pas rater. J’en profite pour faire quelques magasins
en espérant trouver quelques objets de déco afin d’égayer ma chambre, mais ceux
qui m’intéressent sont fermés. En sortant d’une librairie où j’ai acheté un
agenda, je m’aperçois que le beau soleil que nous avions dix minutes auparavant
s’est transformé en une lourde pluie. Les Suédois n’ont pas l’air d’y prêter
grande attention, et continuent à marcher tranquillement sous les trombes
d’eau. Je découvre donc le climat suédois qui veut que nous puissions vivre les
quatre saisons en une journée. Cinq minutes après, le soleil revient.
Je pars faire mes courses au supermarché et manque de fondre
en larmes devant la sauce préférée de Nyamuk pour ses pâtes. Mon humeur n’est
donc vraisemblablement pas encore stabilisée. Mais après avoir rempli mon sac
de quelques produits très basiques, je suis plutôt contente de prendre le
chemin de Väpplingvägen. C’est la première fois que je m’installe vraiment quelque part, que j’aménage les
choses petit à petit. Et ce soir, j’ai le sentiment de rentrer « chez
moi ». Ce qui est sans doute plutôt bon signe.
En arrivant à la maison, je retrouve Philipp avec qui je
parle pendant deux bonnes heures. Il m’explique les différentes règles de la
maison, de sa vie, de plein de choses. Il habite ici depuis un an et demi et a
l’air de s’y plaire. Il m’explique qu’il prépare en ce moment une compétition à
Los Angeles, et qu’il y partira. Ensuite, si
un agent le repère, il restera probablement là-bas. Autrement, il reviendra
peut-être ici. Rien n’est décidé.
J’ai du mal à lui donner un âge ; il parait très jeune
mais je ne pense pas qu’il y ait une grande différence entre nous. Il fait en
tout cas tout pour me mettre à l’aise, et m’assure que je peux lui poser toutes
les questions que je veux. Notamment sur le tri des déchets puisqu’ils ont
environ douze mille bacs différents. Je ne savais pas, par exemple, qu’on
pouvait faire une différence entre le carton dur et le carton… pas dur. Mais il
fait aussi voler en éclat ma perspective de soirée Skype en m’apprenant qu’il
n’y a pas Internet dans la maison. Avant, une des étudiantes avait installé une
ligne à son nom et la partageait avec tout le monde, mais elle a déménagé, et
le modem avec. Mon envie de quitter cet endroit revient plus forte encore.
Alors j’appelle Nyamuk en marchant en rond dans le jardin, entre les pommiers
et la table en bois pendant quarante minutes. Lui parler me fait du bien, me
rends plus forte. Je me rends compte que je ne serais pas venue ici s’il
n’avait pas été là, et ce constat me parait paradoxal. M’éloigner de lui est
sans doute la chose la plus douloureuse qui puisse m’arriver en ce moment, mais
ce n’est que parce qu’il est à mes côtés que j’ai pu partir. Parce que je sens
que même en m’éloignant, il y a quelqu’un là-bas qui m’aime et pense à moi.
Cette relation m’aura renforcée bien plus que je n’aurais pu l’imaginer. Mais
plus tard, alors que j’essaye de m’approprier ma chambre en collant au mur les
photos que j’ai pu emmener, quelque chose se fissure. Je me demande comment
nous allons tenir – et si nous devenions des étrangers ? Nous ne sommes
séparés que depuis trois jours, et il me semble déjà si irréel.
Je ne suis pourtant pas désespérée, je ne veux pas rentrer à
Paris. Mais je suis encore dans cette phase d’incertitude où je ne sais pas si
je serai heureuse ici. Une minute, je me dis que c’était ce que j’attendais
depuis des années, que c’est excitant, que tout va bien se passer. La minute
d’après, je suis au bord d’acheter des billets Ryanair pour rentrer en France.
Il n’y a rien de vraiment douloureux cela dit. J’imagine que ce n’est qu’une
question d’ajustement à une nouvelle vie.
Je passe ma soirée à écrire, avec en fond sonore Philipp qui
joue à des jeux sur sa Xbox.
J’essaye de prendre les choses les unes après les autres.
Me souviens que j’ai atteint un objectif après lequel je
cours depuis longtemps et qu’il ne faut pas perdre ça de vue.
Et mon prochain objectif sera sans doute de réussir ce
challenge, sans perdre Nyamuk.
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